Polydenos - Textes des orateurs https://psy-bruxelles.be/taxonomy/term/4 fr Comment l’évolution de la psychiatrie a influencé l’éthique. https://psy-bruxelles.be/node/900 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Daniel desmedt</div></div></div><div class="field field-name-field-titre-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><p>Psychiatre, photographe, chef de service des hôpitaux Irss Sud</p> </div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p>L’éthique est une philosophie morale : elle tente de définir le bien, les devoirs, les limites. Elle est intimement liée à la culture, à l’époque, et donc varie selon les lieux et le temps. Elle concerne potentiellement tous les champs de la vie sociale. Elle est en relation avec le droit, et on espère qu’elle ne soit pas absente du champ politique. Elle concerne ce qu’un humain peut faire à un autre humain.</p> <p>L’éthique a toujours été une préoccupation majeure de la médecine. C’est le « Primum non nocere », « Avant tout , ne pas faire de mal » que l’on retrouve chez Hippocrate en 410 avant Jesus Christ. Même si ce principe a traversé les siècles, l’éthique a évolué au cours des temps et des lieux. C’est le cas par exemple du positionnement par rapport à l’avortement, qu’Hippocrate condamnait, et qui reste un interdit religieux notamment dans le catholicisme. La question du droit à l’avortement est restée liée au droit des femmes, qui ont longtemps été considérées inférieures à l’homme. Elles n’ont eu le droit de vote qu’en 1944 en France, et en 1947 en Belgique. Dans notre pays, elles n’ont pu ouvrir un compte en banque sans l’accord de leur mari qu’en 1976, et il a fallu attendre 1990 pour que l’interruption volontaire de grossesse soit légalisée. La loi venait donc, après de longs errements politiques et sociaux donner une confirmation à ce qui était depuis longtemps l’objet de débats éthiques.</p> <p>L a psychiatrie a toujours été intimement liée aux questions éthiques. On peut même dire qu’elle a été engendrée par l’éthique. La société ne savait que faire des fous, des insensés, des débiles, de ceux qui troublaient l’ordre social et semblaient échapper à la religion et à la morale. Longtemps, les fous ont été traités comme les délinquants, les voleurs et les prostituées. Quand la lèpre a reculé, après la fin des croisades, les léproseries sont devenues des hospices ou des asiles, où l’on tentait de rééduquer les insensés par le travail. Le siècle des Lumières a posé la question de la responsabilité : si un insensé souffrait d’une aliénation de la raison, il ne pouvait être tenu responsable de ses actes, ou accessible à la justice. Il fallait le mettre à l’écart, non pas pour son bien, mais pour protéger la société, l’église, ou l’honneur de sa famille. Ces décisions n’étaient pas nécessairement justifiées par un avis médical, et pouvaient être le fait d’un père soucieux de l’honneur de la famille.<br /> L’internement était donc une décision sociale, d’ordre public. Et au dix-huitième siècle, la folie était parfois une façon de qualifier ceux qui ne se pliaient pas à l’ordre social.</p> <p>On trouve un exemple cité par Michel Foucault dans « L’histoire de la folie à l’âge classique » (Edition La Pléiade, page 161)</p> <p>« Une femme âgée de seize ans dont le mari s’appelle Beaudoin… publie hautement qu’elle n’aimera jamais son mari, qu’il n’y a point de loi qui l’ordonne, que chacun est libre de disposer de son coeur et de son corps comme il lui plaît, mais que c’est une espèce de crime de donner l’un sans l’autre. » Cela se passe à la fin du dix-huitième siècle, et ce discours fort et déterminé passe pour une folie morale. C’est-à-dire que ce n’est pas la rationalité qui est atteinte, mais que l’on y voit une incapacité à intégrer la morale socialement partagée, et un défaut de volonté de se conformer aux usages et aux lois.</p> <p>Il est clair que la lecture que l’on fait d’un problème dépend du point de vue. Et ce point de vue est marqué par le contexte social et culturel de l’époque. Ce n’est pas nécessairement la nature du problème qui change, bien qu’elle dépende aussi du contexte. C’est aussi le regard de l’observateur et les références qu’il utilise. Ainsi au moyen-âge, le fou risquait d’être considéré comme possédé par le démon. Puis au dix-huitième siècle, la folie était parfois assimilée à la bestialité : le fou était comme un animal sauvage, et il fallait le maîtriser et le mettre à l’écart. Les philosophes du siècle des lumières insistèrent sur un défaut de la raison, une carence du raisonnement logique qui altérait le jugement. Le siècle suivant allait voir la naissance de la psychiatrie, avec les premières tentatives d’identification des maladies mentales de l’ère moderne - lesquelles faisaient la synthèse d’éléments parfois identifiés dès l’antiquité (par exemple la mélancolie, et son alternance avec des états maniaques, que l’on appela folie circulaire au début du 19ème siècle).</p> <p>Plus près de nous, au début des années 80, la psychiatrie se trouvait à la croisée des chemins. </p> <p>En 1980, la psychiatrie était encore marquée par l’école française, qui intègre le modèle psychanalytique à une pratique psychiatrique assez médicale. Un tableau clinique est déterminé en partie par l’histoire personnelle et familiale du patient, tout en y incluant des désordres du fonctionnement psychique et parfois des éléments génétiques encore difficiles à identifier. Donc, pour arriver à un diagnostic, il fallait prendre le temps d’écouter le patient, de l’interroger sur son histoire. Il fallait également être sensible au mode de relation qu’il établit avec le soignant, et à la structure du discours. Tout cela nécessitait une grande finesse, et une expérience qui se développait au fil des années. Il en résultait une clinique extrêmement riche, pleine de nuances et de controverses. On distinguait ainsi les schizophrènes des paraphrènes, la paranoïa du délire des sensitifs de Kretschmer. Si on avait de la chance, on pouvait un jour tomber sur la folie raisonnante de Sérieux et Capgras, à ne pas confondre évidement avec l’illusion des doubles de Fregoli. Et bien sûr la névrose de caractère n’avait pas grand-chose à voir avec la névrose hystérique, qui elle, prenait parfois la forme d’un syndrome de Briquet.<br /> La richesse des diagnostics était d’autant plus grande qu’il y avait peu de recherches épidémiologiques d’envergure, et que le savoir était partagé à travers des études assez fouillées de cas individuels.<br /> Vous n’avez sans doute pas compris grand-chose à la liste très incomplète que je viens d’énoncer, mais je peux vous assurer qu’à l’époque les médecins des autres spécialités n’y comprenaient absolument rien, et que seuls les neurologues tentaient parfois, à leurs risques et périls, de s’aventurer sur ce territoire, sous le regard condescendant des vrais psychiatres, qui pouvaient disserter des heures sur l’existence contestée de la psychose hystérique. </p> <p>Ainsi, les psychiatres restaient maîtres de leur territoire. Chaque patient était considéré comme une personne singulière, et ses symptômes parlaient de son histoire individuelle. Pour tenter de le comprendre, il fallait non seulement avoir accumulé des années de pratique, mais aussi se connaître soi-même. Dans les années 50, et même encore dans les années 80, devenir psychiatre impliquait souvent d’être passé sur le divan d’un psychanalyste, ou d’avoir fait une thérapie personnelle, sous une forme ou l’autre.<br /> L’usage des médicaments n’était pas beaucoup plus clair. On disposait de quelques antidépresseurs, de neuroleptiques, de calmants divers et de lithium, sans oublier les électrochocs. Leur mode d’action était connu dans les grandes lignes, avec un certain flou, qui laissait finalement les psychiatres assez libres de leur usage. Et ils ne se gênaient pas pour compliquer leur prescription à un niveau digne de la complexité de la clinique. Ceci donnait parfois des résultats heureux, mais avait sans doute l’objectif inavoué de rendre le champ de la psychiatrie plus impénétrable encore aux non initiés.</p> <p>La psychiatrie que je décris s’était développée en France. Elle correspondait bien au raffinement de la culture, à l’amour de la langue et de la littérature, à l’attirance pour la philosophie. Elle correspondait aussi à un monde hiérarchisé, fort structuré, où des mandarins régnaient en maître absolus sur leurs services. Elle s’était développé dans de grands asiles, véritables cités à l’écart des villes, où les patients n’avaient pas beaucoup de droits. Pendant la guerre, les internés avaient été négligés, abandonnés, laissés sans ressources et souvent sans nourriture. Une exception est l’hôpital de Saint-Alban : le docteur François Tosquelle, qui a dû fuir l’Espagne de Franco à cause de son engagement républicain, y développe les premières expériences de thérapie institutionnelle, avec notamment des clubs thérapeutiques, mêlant sur un pied d’égalité soignants et soignés. Aussi il amène ses pensionnaires participer aux travaux des fermes attenantes, et évitera la famine.</p> <p>Au cours des années 60 à 80, la psychiatrie sera secouée par plusieurs vagues : les mouvements issus de l’antipsychiatrie et l’essor des thérapies humanistes, le développement de la pharmacologie et de la psychiatrie biologique, l’implantation de la nosographie américaine. </p> <p>Dans la lignée ouverte par Tosquelle, David Cooper et Ronald Laing au Royaume Uni, Franco Basaglia en Italie voudront ouvrir les portes de l’asile. Les hôpitaux psychiatriques étaient à leurs yeux des émanations du capitalisme. Les internés portaient les symptômes d’une société malade. Il ne s’agissait pas de les amener à se conformer à un modèle productiviste, mais de comprendre ce qu’ils exprimaient, et de tenter de soigner les maux de la société, ou au moins de créer des espaces qui échappaient à la folie de la société. C’est ainsi que Franco Basaglia créa les premières communautés thérapeutiques. C’est aussi le début des thérapies systémiques, où l’on parle non pas de malade mais de patient désigné par le système ou la famille. Le travail thérapeutique vise à qui trouver un nouvel équilibre du groupe pour que le symptôme ne soit plus nécessaire. </p> <p>Le climat social et politique, avec les mouvements de décolonisation, les manifestations contre la guerre au Vietnam, mai 68, est favorable aux initiatives d’ouverture. On voit arriver de nouvelles formes de thérapie, comme la Gestalt, l’Analyse Transactionnelle, la Bioénergie, qui seront qualifiés de courant humaniste. L’accent est mis sur les événements marquants de l’histoire personnelle, sur les relations au sein de la famille, sur les interactions entre le corps et le psychisme, et la notion de maladie est repoussée à l’écart. Le thérapeute n’est plus intrinsèquement une figure d’autorité, mais est avant tout un être humain parmi les autres, qui a eu l’expérience de résoudre ses propres problèmes, et est susceptibles d’être interpelé par ses clients. </p> <p>Ainsi, au début des années 80, la psychiatrie offre une lecture élargie des difficultés psychiques. Celle ou celui qui vient consulter un psychiatre est avant tout un être humain singulier. Il est considéré dans sa complexité, liée à une histoire personnelle remontant à celle de ses parents. Cette histoire s’est construite à travers les multiples relations familiales, et elle est aussi marquée par le contexte social et culturel. Elle peut être lue suivant différent modèles, qu’ils soient psychanalytiques, systémiques ou autres. Les symptômes ne sont pas nécessairement pris au pied de la lettre, mais sont aussi considérés comme un langage, comme l’expression d’une souffrance, d’un problème, d’un conflit intérieur. Le but de la prise en charge n’est pas simplement de faire disparaître un symptôme, ce qui risquerait de déplacer le problème, mais d’aider la personne à trouver son chemin, l’aider à être elle-même. Aller mieux, ce n’est pas nécessairement correspondre à un modèle, c’est se sentir bien avec soi, et capable de vivre en relation avec les autres.<br /> On a dit qu’en médecine, la bonne santé pouvait se définir comme le silence des organes. En psychiatrie, la bonne santé serait plutôt une parole retrouvée, la liberté de s’exprimer, la possibilité de rencontrer l’autre. </p> <p>Si cela a pu se passer ainsi, c’est aussi parce que la psychiatrie venait de connaître une révolution de la psycho-pharmacologie.</p> <p>Les neuroleptiques ont été découverts dans les années 50, par Henri Laborit, qui expérimentait de nouvelles molécules en anesthésie. Cela a été une révolution. Des schizophrènes graves voyaient leurs hallucinations disparaitre et leur délire se calmer : les portes de l’asile s’ouvraient, et il devenait possible pour certains de retrouver une vie sociale. Puis ce fut la découverte, elle aussi par hasard, des premiers antidépresseurs, capables de lever l’humeur noire des mélancoliques. </p> <p>Mais ces médicaments avaient leurs limites, qui en restreignaient l’usage, ce qui n’était finalement pas un mal. Les neuroleptiques avaient des effets secondaires qui apparaissaient rapidement, sous forme de tremblements ou de rigidité, et leur action n’était pas toujours confortable. On les réservait donc aux psychoses ou au grands états maniaques. Les antidépresseurs tricycliques, dont l’usage était assez délicat, n’étaient vraiment efficaces que dans les dépressions endogènes. Il fallait qu’une dépression soit clairement liée à une perturbation des neuro-transmetteurs pour qu’ils aient une chance d’agir, et alors ils produisaient des guérisons impressionnantes. Si l’indication était mal posée, s’il s’agissait d’une dépression réactionnelle à un événement particulier, ou liée à une structure de personnalité, ils n’apportaient pas grand-chose. </p> <p>Donc pratiquer la psychiatrie en 1980 impliquait d’affiner le diagnostic de la situation, en tenant compte de l’histoire personnelle, du mode de relation, des circonstances de vie. Le nombre des situations par un simple traitement psychotrope était limité, et un psychiatre se devait d’allier une approche psychothérapeutique aux médicaments prescrits. Il valait mieux qu’il ait une conscience claire de son champ d’action, qu’il reconnaisse son impuissance et qu’il développe une collaboration active avec la personne qui le consultait. Le psychiatre restait avant tout quelqu’un, en relation, et soumis lui aussi à la condition humaine. </p> <p>Deux changements allaient bouleverser ce style de pratique. La généralisation de la nosographie américaine, et l’apparition de nouvelles molécules, au premier rang desquelles le Prozac.</p> <p>J’ai évoqué la complexité des diagnostics de l’école française. Deux points pouvaient être des obstacles à la recherche clinique. D’une part les diagnostics pouvaient varier d’une école à l’autre. D’autre part, le diagnostic était plus ou moins dépendant de la subjectivité de l’examinateur. Pour pouvoir développer des études épidémiologiques ou pharmacologiques plus fiables, il fallait disposer d’un système qui soit plus universel et plus neutre.</p> <p>Les psychiatres américains allaient s’y employer, avec un pragmatisme très anglo-saxon. </p> <p>L’école de Saint Louis fut la première à proposer une approche radicalement différente. Un diagnostic reposait sur la présence d’une liste de symptômes clairement identifiables par n’importe qui, et sur quelques renseignements anamnestiques clairs. Au départ cette classification identifiait une douzaine de maladies mentales, dont l’homosexualité : si le système se voulait objectif, il n’échappait pas aux a priori de l’époque. Ce modèle allait petit à petit s’étendre et se généraliser à l’ensemble de la littérature psychiatrique médicale. Chaque entité diagnostique était validée par des recherches épidémiologiques : il s’agissait d’établir une liste de symptômes et d’éléments qui permettait d’identifier un groupe de patients homogènes quant à son évolution et sa réponse au traitement. Cela donna naissance au Diagnostic and Statistical Manual, ou DSM, qui en est à sa cinquième version, et qui aujourd’hui propose quelques centaines de diagnostics. Chacun est élaboré sans aucune référence, ni à une école, ni à un modèle psychodynamique ni à une étiologie particulière, dans l’idée de garantir l’universalité de l’outil. En parallèle, furent développés toute une série d’échelles d’évaluation pour avoir une mesure, en principe neutre et objective, de la gravité d’un syndrome. Comme il s’agissait d’être politiquement correct, on évacua les termes de maladie, pour le remplacer par « trouble », et on évita les mots qui fâchent comme hystérique ou psychopathe.</p> <p>Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.<br /> A part que l’enfer est pavé des meilleures intentions. </p> <p>Le DSM est bien adapté à la recherche pharmacologique, en permettant d’avoir des échantillons de patients assez uniformes. Il est peut-être trop bien adapté.</p> <p>Prenons le cas du Prozac, qui fut le premier antidépresseur inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, mis sur le marché au début des années 80.</p> <p>Il allait révolutionner la psychiatrie.</p> <p>D’abord, il ne présente quasiment pas de risque létal, contrairement aux antidépresseurs tricycliques, ce qui est rassurant pour un médicament prescrit à des personnes potentiellement suicidaires. Ensuite, il a peu d’effets secondaires clairement identifiés, ce qui facilite sa prescription.<br /> Et puis, surtout, il a des effets chez quasiment n’importe qui, et non plus sure une classe déterminée de dépressions.<br /> Un des effets du Prozac est la mise à distance. Il diminue l’angoisse, par tellement par un effet sédatif, mais plutôt en installant un certain recul par rapport aux problèmes. Sous Prozac, la personne sait toujours qu’elle a tel ou tel problème, mais elle ne se tracasse plus, elle le contemple avec indifférence. Et le Prozac a évidemment un effet positif sur l’humeur, mais donne aussi l’impression d’avoir plus d’énergie, d’être plus productif. C’est donc le médicament idéal pour les cadres dynamiques surmenés : ils seront d’humeur plus égale, connaîtront moins de frustrations, analyseront les problèmes avec neutralité.<br /> Quand le Prozac a été mis sur le marché, on a vu fleurir les articles vantant ses effets dans les magazines et les hebdomadaires d’information. On tenait enfin un médicament miracle.</p> <p>Bien sûr, il avait quelques effets secondaires, notamment de baisser la libido. Si on ose une explication psychanalytique, on pourrait dire que le Prozac efface en partie le manque. Et notamment le manque qui pousse à chercher une satisfaction, le manque qui est à l’origine du désir. Mais finalement, il suffisait que chacun dans le couple prenne du Prozac et le problème était réglé : une tisane et au lit. </p> <p>Pour en revenir à la psychiatrie, l’émergence du Prozac fait qu’il n’est plus nécessaire d’affiner le diagnostic de dépression. Si la personne se plaint d’humeur maussade, il suffisait d’un comprimé de Prozac et le problème était réglé en quelques semaines… du moins en apparence. En effet, dans les cas de dépression endogène ou mélancolique, le Prozac amenait une amélioration des signes, mais pas de véritable rémission. Certains patients gardaient des symptômes à bas bruit, mais ne s’en plaignaient plus, vu la relative indifférence induite par la substance.<br /> Et le Prozac correspondait bien au DSM. Le diagnostic de dépression majeure était bien plus large et plus flou que les diagnostics de dépression endogène, réactionnelle ou névrotique développés par les écoles françaises. Environ 60% des dépressions majeures étaient améliorées par le Prozac et les molécules apparentées, alors que les antidépresseurs plus anciens avec un spectre d’action beaucoup plus limité. </p> <p>Ainsi, avec le DSM et les échelles d’évaluation, on passait d’une clinique qualitative à une clinique quantitative. </p> <p>Le patient n’est plus un être humain considéré dans son contexte, dans son histoire, dans son intégrité psychique. C’est un malade qui présente un ou plusieurs diagnostics, c’est-à-dire des séries de symptômes dont la gravité peut être mesurée par des échelles d’évaluation. Le but du traitement est de diminuer ou de supprimer les symptômes, sans trop se poser de question sur les changements de l’équilibre général ou de la vie de la personne.</p> <p>Le diagnostic est basé sur l’existence du symptôme, sans en considérer l’origine, donc sans le mettre dans le contexte de l’histoire individuelle : le DSM, en principe, veut ignorer l’étiologie pour préserver son universalisme.</p> <p>On voit parfois arriver des patients qualifiés par deux ou trois diagnostics DSM, sans qu’il y ait eu une réflection pour comprendre l’interaction entre ces diagnostics, ou sans chercher à les réunir par une étiologie commune.<br /> Par exemple, il arrive que des personnes consultent pour un problème d’alcool, et qu’elles aient aussi une consommation importante de cannabis, et qu’elles fassent un usage plus ou moins régulier de cocaïne. Elles demandent à être hospitalisées pour leur problème d’alcool, mais ne veulent pas changer leurs autres consommations. Pourtant, derrière leurs abus, il y a des problèmes commun : un mal de vivre, une intolérance à la frustration, une difficulté à écouter leurs émotions. On ne peut pas traiter un être humain par morceaux, on ne peut pas faire abstraction de qui il est, une personne qui tente de se débrouiller avec la complexité de la vie. </p> <p>La rencontre entre le DSM et l’industrie pharmaceutique peut aussi soulever des questions éthiques.</p> <p>Il y a quelques années, une firme a fait la promotion importante pour l’usage de la quétiapine dans la dépression du sujet âgé. La quétiapine est un neuroleptique assez puissant, qui a des propriétés sédatives marquées. Imaginez une personne âgée dans une résidence du troisième âge. Elle se plaint sans doute de son sort, de la qualité de la nourriture, du personnel en sous-effectif qui ne répond pas assez vite à ses demandes. Elle ne trouve plus de sens à sa vie, n’a plus envie de grand-chose. Bref, elle coche une bonne partie des critères de dépression majeure. Donnez-lui de la quétiapine, et elle ne se plaindra plus. Une bonne partie de ses plaintes a disparu… et la personne n’existe plus vraiment, transformée en un être apathique et somnolent, qui n’a plus rien à dire. </p> <p>Là est un des dangers de la psychiatrie à l’ère du DSM. Avant les traitements étaient basés sur un diagnostic, qui lui-même reposait sur une étiologie et un modèle de la construction du psychisme de l’être humain. Aujourd’hui, on choisit des médicaments en fonction des symptômes, avec un type de médicament pour chaque type de symptôme. Le but premier est devenu la suppression des plaintes, parfois en oubliant les effets secondaires induits. Ce qui aurait pu être expliqué par un diagnostic touchant l’ensemble de la personne se trouve morcelé en une série de symptômes ayant chacun leur traitement. En morcelant le diagnostic et l’approche thérapeutique, on peut oublier l’être humain, confronté à la complexité de la vie.</p> <p>Prenons l’exemple d’une personne souffrant d’une dépression majeure mélancolique, avec une angoisse importante, des ruminations tournant autour d’un sentiment de dévalorisation et d’incapacité proche du délire. Une approche, en choisissant de traiter séparément les symptômes, est de lui donner des neuroleptiques en plus des antidépresseurs. Les neuroleptiques calmeront rapidement les angoisses et contrôleront les ruminations en inhibant la pensée. La personne paraîtra moins en souffrance, aura moins de ruminations anxieuses, mais restera dans un état d’indifférence et de vide existentiel. Si en revanche, on considère que l’ensemble des symptômes fait partie de l’état dépressif et disparaîtra quand la dépression ira mieux, on centre le traitement sur des antidépresseurs adéquats. Et l’on encourage la personne à participer à des activités, ce qui lui permettra de commencer à échapper à ses ruminations. Cela suppose qu’on lui apporte des points d’appui par des relations de soutien avec les soignants et l’entourage. On n’agit pas simplement sur la chimie, mais on rencontre la personne dans son humanité, en lui rappelant qu’elle fait toujours partie du monde des humains dont elle pouvait se sentir exclue. </p> <p>Le danger pour la psychiatrie est de se construire sur des soustractions de symptômes. On supprime les plaintes, au risque d’oublier ce qu’il y a à construire. Et le risque est d’autant plus grand que la condition humaine est laissée de côté. C’est l’histoire de la personne âgée dans un home, à qui on donne des neuroleptiques pour qu’elle ne se plaigne plus. Mais a-t-on quelque chose à proposer face au vieillissement, à la mort qui approche ? Vaut-il mieux tout oublier, ou chercher à trouver des petits plaisirs dans les interstices de liberté laissés par un corps qui défaille ? Peut-on accepter la tristesse face à la perte d’un être cher, ou faut-il prescrire un antidépresseur « parce que cela pourrait aider, et que ça ne fait pas de tort ? » Peut-on accepter que notre époque apporte son lot de raisons d’avoir peur, que ce soit de la guerre ou du changement climatique ? Y a-t-il d’autres remèdes à l’éco-anxiété que la révolte et l’action? </p> <p>On a vu que chaque époque avait une vision de la folie qui était déterminée par la culture et la société. Au moyen-âge, le fou était possédé par le démon, et il fallait l’exorciser, le brûler, ou l’enfermer à l’écart. A l’âge classique, la folie était soit la déraison, soit un retour à l’animalité, soit un désordre moral, qui faisait du libertinage une forme d’aliénation. Puis la folie est devenue une maladie pour laquelle la médecine a longtemps cherché des causes organiques ou anatomiques, avant que Charcot n’introduise la notion de trouble fonctionnel. Dans les années 60, les asiles étaient considérés par le mouvement de l’antipsychiatrie comme une émanation du capitalisme victorieux, et il semblait nécessaire de promouvoir des modèles de communauté thérapeutiques pour comprendre et soulager les laissés pour compte. </p> <p>Alors, aujourd’hui, quel est le modèle de santé mentale dessiné par le DSM 5 ? Il n’est pas énoncé clairement, mais on le devine, si être en bonne santé, c’est de ne répondre à aucun des critères diagnostics, ce qui est devenu de plus en plus difficile, avec la multiplication des possibilités d’y entrer.<br /> On imagine un être n’ayant pas d’états d’âme, ignorant largement la tristesse, la colère ou l’angoisse, un être performant tant au travail que dans sa vie affective et sexuelle, un être qui oublie la condition humaine et son âpreté. Une belle image, digne de la publicité, et de la communication, qui a remplacé la parole authentique. « Si on veut, on peut » semble être le message. On peut à condition d’oublier notre histoire, la singularité de nos désirs, les limites qui font partie de la vie. </p> <p>Le meilleur des mondes devient un cauchemar éveillé.</p> <p>Daniel Desmedt<br /> 20 mai 2024.</p> </div></div></div> Sun, 26 May 2024 16:00:14 +0000 amh 900 at https://psy-bruxelles.be Un avis sur le dossier informatisé en santé mental https://psy-bruxelles.be/node/888 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Geneviève Monnoye</div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p>Bien que n'étant pas le texte d'un orateur, cet avis mérite d'être connu et diffusé aussi je l'ai mis ici en pièce jointe.</p> <p>Un premier pas dans la reconnaissance de la spécificité de la santé mentale, oui mais...<br /> L’avis du Conseil Fédéral des Professions de Soins de Santé Mentale concernant<br /> le Dossier Patient Informatisé (DPI)</p> <p>Cet article est écrit au nom de l’Association des Psychologues Praticiens d’orientation Psychanalytique (APPPsy) en collaboration entre autres avec l’Association pour la Recherche en Psychothérapie Psychanalytique (ARPP), l’Association Professionnelle d</p> </div></div></div><div class="field field-name-field-fichier-public field-type-file field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><table class="sticky-enabled"> <thead><tr><th>Fichier attaché</th><th>Taille</th> </tr></thead> <tbody> <tr class="odd"><td><span class="file"><img class="file-icon" alt="PDF icon" title="application/pdf" src="/modules/file/icons/application-pdf.png" /> <a href="https://psy-bruxelles.be/sites/psy-bruxelles.be/files/20230420%20billet%20de%20bonne%20humeurdocx.pdf" type="application/pdf; length=404002">20230420 billet de bonne humeurdocx.pdf</a></span></td><td>394.53 KB</td> </tr> <tr class="even"><td><span class="file"><img class="file-icon" alt="PDF icon" title="application/pdf" src="/modules/file/icons/application-pdf.png" /> <a href="https://psy-bruxelles.be/sites/psy-bruxelles.be/files/avis_dpi_corrige_advies_epd_gecorrigeerd-signe.pdf" type="application/pdf; length=432695">avis_dpi_corrige_advies_epd_gecorrigeerd-signe.pdf</a></span></td><td>422.55 KB</td> </tr> </tbody> </table> </div></div></div> Thu, 25 May 2023 09:30:13 +0000 amh 888 at https://psy-bruxelles.be Le prix de l’informatique : la médecine va-t-elle perdre son âme ? https://psy-bruxelles.be/node/882 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Daniel Desmedt</div></div></div><div class="field field-name-field-titre-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><p>psychiatre, photographe, chef de service HIS</p> </div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p>Un peu d’histoire pour commencer, parce qu’il est toujours utile de savoir d’où on vient. </p> <p>1990, dans une salle de médecine de l’hôpital d’Ixelles. Une époque où il n’y avait pas encore internet, et où l’informatique était un outil abscons, un peu effrayant, réservé à des initiés.<br /> Le Docteur Wettendorf fait le tour. A ses côtés deux étudiants en médecine poussent le chariot où sont classés les dossiers des patients. Les résultats des derniers examens sont empilés dans un désordre organisé, et seront rangés dans chaque farde au fur et à mesure qu’ils sont analysés. Autour de cet attelage, se pressent deux ou trois post-gradués et l’infirmière responsable de la salle. Le chef de médecine, entre dans la chambre d’un patient, un peu surpris de voir arriver cette petite foule. Le Docteur Wettendorf pose quelques questions au malade, lui demande d’enlever sa blouse d’hôpital. Dans un silence religieux, il tapote le dos du patient, allant d’une main d’un espace intercostal à l’autre, pendant que deux doigts de l’autre main la tapotent régulièrement, à la recherche d’une matité qui signerait la présence d’un épanchement. Puis il prend son sthétoscope, et après en avoir réchauffé la tête, la pose délicatement sur la peau. Les étudiants savent qu’il écoute le murmure vésiculaire, et qu’il recherche éventuellement un râle sous-crépitant. Un moment après, le docteur ausculte le coeur, puis demande au patient de s’allonger pour examiner son abdomen. Il aide le patient à remettre sa blouse, en lui livrant quelques impressions et en lui expliquant quels examens il va demander. Le Docteur Wettendorf est toujours respectueux, calme et rassurant : le patient sait qu’il pourra compter sur lui et sur son expérience. Ce n’est pas aussi facile avec l’oncologie, qui pénétrait dans la chambre en coup de vent, saisirait une radio, la regardait à la lumière de la fenêtre et s’exclamait « Oh ! la belle tumeur ! ».</p> <p>A cette époque, le médecin incarnait un savoir. C’est-à-dire que ce n’était pas seulement le savoir encyclopédique accumulé au cours de longues études qui importait. Il fallait aussi que ce savoir soit porté par une personne, un être humain qui établissait une relation personnelle et rassurante. Le médecin était le dépositaire de l’art de guérir. Il portait en lui un ensemble de connaissances développées au fil des générations, et qu’il n’aurait pu acquérir sans la transmission par ses aînés. Ce savoir ne se trouvait pas simplement dans les livres, il venait aussi du partage d’expériences avec des aînés et des pairs, et s’était construit à travers une longue pratique du terrain. Et on appelait cela un art, même si la science avait une bonne place, parce que la science ne suffisait pas mais qu’il fallait également l’observation, la sensibilité, l’intuition, et encore d’autres éléments insaisissables et immatériels. Le médecin des années 90 descendait en droite ligne de ses prédécesseurs, qui officiaient sans l’appui d’examens techniques sophistiqués, et qui devaient compter sur leur autorité bienveillante pour avoir une chance de guérir les patients, à une époque où l’arsenal thérapeutique était limité. </p> <p>A cet époque, le téléphone était attaché à un fil et n’avait rien de mobile, et internet n’existait pas. Les informations médicales accessibles en dehors de la faculté était parcellaires, et tenter d’en savoir plus exposait au découragement le plus total, tant il était difficile pour un non-initié de saisir le vocabulaire médicale, ou de saisir une information intelligible sur le fonctionnement et les dysfonctionnements du corps. Il fallait s’en remettre au savoir de son médecin et lui faire’ confiance. </p> <p>En ces temps là, le lien entre le corps, le monde matériel et les activités psychiques s’imposait avec évidence. Obtenir une information impliquait de prendre une revue ou un livre, et parfois il fallait le chercher dans une bibliothèque. Sauf avec ce maudit téléphone dépendant d’un fil, et qui ne se trouvait jamais où on le souhaitait, on ne parlait qu’avec des gens qui étaient présents en face de nous, et avoir des amis avait un véritable sens, bien différent de ce que l’on peut expérimenter sur les réseaux sociaux. Internet, en offrant des ressources infinies et désirables, non fait parfois oublier les poids et les limites du corps. Les autres ne sont plus nécessairement liés à un lieu : on peut acheter n’importe quoi depuis son salon, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Le temps semble aussi être réduit à l’instant : on envoie un mail ou un message, et on espère une répons plus ou moins immédiate, en oubliant qu’il faudra du temps au destinataire pour lire le message et y répondre. Et puis, tous les savoirs du monde paraissent à la portée d’un clic, démultipliés à l’infini. Le succès d’internet et des smartphones semble répondre à une attente universelle, et que nous ne connaissons pas il y a vingt ans à peine. Internet et ses dérivés semble nous affranchir des limites de notre corps et de notre savoir et ouvrir des ressources insoupçonnées. L’accès à l’information augmente le pouvoir de chacun et peut faire vaciller les dictatures. On ne retournera pas en arrière, même si on ne sait quel avenir nous sommes en train de nous construire. </p> <p>La médecine s’est évidemment et naturellement emparée de ces progrès. Il y a eu d’abord toutes les techniques qui ne pouvaient exister sans la puissance des ordinateurs, comme par exemple le développement des scanners et de la résonance magnétique. il y a eu évidemment le partage du savoir, qui a conduit au développement de l’évidence based medicine. Puis il y a le développement , combien pénible, surtout à HIS, du dossier médical informatisé : alors que la plupart des gens vivent une informatique aseptisée, à leur service, et destinée à ouvrir de nouveaux horizons, les médecins découvrent qu’ils sont au service de l’informatique, qu’elle formate leur pensée et qu’elle balise les perspectives.<br /> Il y a bien sûr tout ce que le dossier médical informatisé apporte. La possibilité d’avoir les résultats des examens en quelques clics, même s’ils ont été fait dans un autre hôpital, une bonne connaissance de l’histoire du patient, la certitude d’avoir accès à un dossier complet et instantannément disponible, même dans des circonstances urgentes. Il y a aussi toutes les aides informatiques qui ont permis de développer des examens qui étaient impensables il y a vingt ou trente ans, et la possibilité de savoir quels est l’état le plus actuel des connaissances médicales. Le progrès est indiscutable, et irréversible.</p> <p>Mais, comme pour toute chose, il y a un prix à payer.<br /> D’abord, voir un médecin, c’est souvent voir juste le sommet de sa tête dépassant d’un écran d’ordinateur. La machine s’interpose entre le docteur et le patient. L’échange est rythmé par le cliquetis des doigts sur le clavier, et est forcément formaté par le programme. Il y a les rubriques à remplir, parfois des listes de questions à poser. Et même s’il s’agit pour le praticien d’écrire un texte libre, sa liberté de penser est plus ou moins contrainte par l’idée de l’informatique, la perspective de savoir que la note sera accessible à beaucoup de monde sur le réseau, et parfois aussi par la fatigue de devoir utiliser un clavier. Lorsque les premiers dossiers informatisés ont été mis en route, on a constaté un appauvrissement des notes, simplement liée à la lourdeur du dispositif.</p> <p>Le patient se retrouve donc face à un praticien plus ou moins préoccupé par l’idée de remplir correctement son dossier, qui focalise parfois plus son attention sur la machine que sur l’échange. Il est plus difficile d’établir une relation d’humain à humain avec quelqu’un qui a l’apparence d’un technocrate lié à la machine. L’échange risque de devenir plus distant, plus rigide, plus déséquilibré. La confiance est plus difficile à construire quand l’humain n’apparaît pas avec sa subjectivité, ses engagements et aussi ses doutes et sa vulnérabilité. L’ordinateur met le médecin hors d’atteinte, surtout si ses propos font référence aux savoirs universels mais impersonnels de la médecine basée sur l’évidence, à des données incontestables par leur valeur statistique et scientifique. L’erreur est humaine : mais si on traque l’erreur, on risque de chasser l’humain.</p> <p>Dans ce contexte, le patient a aussi sa façon de se défendre. D’abord, comme cela existe depuis la nuit des temps, il va ajuster ses réponses pour susciter l’intérêt du médecin. Au 19ème siècle, à La Sorbonne, Charcot démontrait l’existence de troubles fonctionnels avec de belles hystériques, qui le lui rendaient bien : à la théatralité du grand professeur que le Tout-Paris venait écouter, répondait la démonstration de ces jeunes femmes qui produisaient des symptômes difficiles à trouver ailleurs que dans l’auditoire de la faculté. Aujourd’hui, comme avant, le patient veut être un bon patient, qui intéresse son docteur. A défaut de guérir, il peut apporter des plaintes et des symptômes qui répondent aux questions et aux intérêts du médecin, ou, qui lui résistent. Quand les questions deviennent plus rigides, les réponses deviendront elles aussi plus formatées, ou au contraire plus vagues. Et le patient a évidemment un atout pour rester un bon patient : c’est internet. Il va vérifier ce que le médecin lui dit, chercher quels sont les effets secondaires du traitement, proposer une autre thérapie, voir les avis éclairés sur les forums et les sites qui promettent tout le savoir médical en trois clics de souris. A qui faire confiance ? Quel site contient la vérité la plus vraie ? Et pourquoi le vrai docteur n’a pas dit ce qui est indiqué sur le site. Et puis, ce docteur est-il bien noté ? Combien d’étoiles a-t-il ?</p> <p>Là on sort de la relation soignant-soigné. On entre dans une relation commerciale, qui est plutôt une absence de relation, remplacée par la consommation d’un objet ou la fourniture d’un service. Et les médecins ont largement contribué à celà, en faisant usage de sites internet pour la prise de rendez-vous, sites sur lesquels ils se retrouvent en concurrence avec leurs chers collègues. Quand le patient n’a qu’un clic à faire pour prendre rendez-vous, après avoir choisi parmi les photos de profil ou les étoiles, il ne s’engage pas à grand chose : il attend un service qui corresponde à une demande, et il n’y a pas encore la petite parcelle de relation qui peut exister après avoir entendu une voix au bout d’un téléphone. </p> <p>La rencontre se construit donc sur un malentendu, et il va être difficile à dissiper. Le patient a amené son corps, et se plaint d’une machine qui fonctionne mal. Le médecin s’accroche à son savoir scientifique pour examiner cette machine, oubliant peut-être qu’elle est habitée par quelqu’un. Il se veut neutre, objectif, et fait preuve d’un savoir basé sur des normes et des procédures. Le premier n’y est pour rien dans le dysfonctionnement, le second n’y est pour rien dans les propositions d’action. Il y a donc un risque d’une non-rencontre entre deux absents. Alors qu’en fait il y a peut-être un être humain inquiet et perturbé dans ce qui lui est familier, et qui espérait rencontrer un autre humain, suffisamment présent et solide pour l’entendre et le soutenir. </p> <p>Comment faire ? Prenons l’exemple du parcours pour la chirurgie Bariatrique, mis en place dans notre hôpital. Les patients arrivent parce qu’ils sont trop gros, ne parviennent pas à maigrir. Certains se plaignent de ne plus parvenir à jouer avec leurs enfants, d’autres ne trouvent plus à s’habiller, ou se sentent mal considérés à leur travail. Beaucoup se sont renseignés sur internet, et croient tout connaître des miracles de la chirurgie. Ils savent à quoi s’attendre, connaissent les contraintes post-opératoires, sont plein de bonnes volonté pour s’y adapter. Ils ne savent pas pourquoi ils ont pris du poids - c’est peut-être une question de génétique, puisque leur mère a le même problème. Ils ont beaucoup grossi depuis sept ans, mais cela ne correspond à rien de spécial dans leur vie - à part qu’ils se sont installés dans un nouveau pays à ce moment, ou qu’ils se sont mariés. Ils ne mangent pas beaucoup, ils grignotent juste entre les repas, et parfois mangent quelques biscuits la nuit. Ils n’ont aucun problème et sont très motivés. Pourquoi donc leur fait on rencontrer un psychiatre et une psychologue ? Des gens qui posent des questions incongrues, qui sont curieux de leur histoire et de leur vie. Des gens qui parlent de l’image du corps non seulement comme élément du lien social, mais aussi comme point d’appui du psychisme. Des gens qui disent que quand on maigri vite et beaucoup, on risque de sentir plus d’émotions ou de réagir plus aux frustrations. Tout cela fait obstacle, introduit des grains de sable, et est assez difficile à entendre ou à croire… Et pourtant, quand les patients ont participé à quelques Ateliers Alimentation et Quotidien, et rencontré d’autres personnes, avec d’autres histoires, quand ils entendent ceux qui ont déjà fait la chirurgie, et qu’ils entendent des mots qui semblent mettre en forme ce qu’ils sentent confusément, alors il se passe quelque chose. Ils cessent d’être quelqu’un d’anonyme encombré par un corps et deviennent une personne qui va construire un nouvel équilibre entre son corps et sa psyché. </p> <p>L’informatique est un outil précieux, qui a toute sa place, à condition de rester à sa place. Elle ne remplace pas la relation humaine, mais peut l’aider ou lui faire obstacle. Il est important d’avoir facilement accès à des informations médicales, notamment dans un contexte d’urgence, ou pour éviter de répéter inutilement des examens redondants. Il peut être utile de consulter sur un écran l’histoire médicale d’un patient. Mais un des problèmes, fréquents dans les salles de l’hôpital, est que les données enregistrées dispensent de poser des questions, et de passer un temps suffisant au chevet du patient. Du coup, le médecin croit savoir ce dont il a besoin, mais n’a pas véritablement rencontré le patient, n’a pas entendu ce qui a été important pour lui , ou ce qui l’a marqué dans son histoire. Et cela fait que de nombreux patients se plaignent de ne avoir vu leur médecin, ou même de ne pas savoir qui il est : ils l’ont croisé, mais l’échange a été tellement centré sur quelques renseignements partiels, qu’ils n’ont pas l’impression d’avoir rencontré quelqu’un. </p> <p>Une liste d’antécédents médicaux sur un écran d’ordinateur, ce n’est pas la même chose que le récit d’un patient. Sur l’écran, tout est présenté de manière équivalente et aseptisée. Rien n’est oublié, même ce qui n’a plus de sens, ou ce qui n’avait de sens que dans un contexte particulier. Par exemple, tel patient traîne une réputation informatique d’alcoolique. Il y a quelques années, il avait bu quelques verres à l’occasion de son anniversaire, avait fait une chute, et s’était retrouvé aux urgences pour quelques points de suture. Depuis, on le prend pour un alcoolique, alors qu’il ne boit pas. Imaginez l’adolescent qui arrive à l’hôpital après une fête où il a consommé deux comprimés d’extasy. Va-t-il garder toute sa vie une réputation médicale de toxicomane ? Les êtres humains oublient certains incidents de leur vie, l’informatique non. Comment continuer à évoluer, si on traîne derrière soi le boulet d’un accident de parcours survenu dix ou vingt ans avant. Même la justice prévoit un droit à l’oubli ou à une réhabilitation. L’informatique médicale est implacable et sans pardon.<br /> Mon tableau, un peu sombre et orienté ne serait pas complet sans la question du secret médical. Il y a quarante ans, le secret médical était du registre de l’ordre social, et très clairement défini. Le secret n’était pas simplement dans l’intérêt du patient, mais aussi dans l’intérêt de la société. Il fallait que toute personne qui consulte un médecin soit assurée que tout le contenu de la consultation reste secret et ne puisse avoir un usage autre que les meilleurs soins possibles. Ceci était destiné à permettre à n’importe qui de voir un médecin pour n’importe quel motif sans que cela ne lui porte préjudice. Et le médecin ne pouvait révéler ce qu’il avait appris du fait de sa qualité de médecin. Par exemple, quand un de nos souverains laissa tomber son épée lors de sa prestation de serment, une radio publique demanda à un éminent professeur de radiologie son avis sur le tremblement que le roi avait manifesté. Le jour même, l’ordre des médecins appela le grand professeur pour lui rappeler son obligation de secret. A l’époque, le secret médical ne pouvait être partagé qu’avec des collègues ayant en charge le patient, et dans la mesure où le partage des informations était nécessaire aux soins. Et le patient était exclu du secret médical : il ne pouvait avoir accès à son dossier, et les informations qui lui étaient données étaient supposer ce limiter à ce qui était nécessaire pour assurer des bonnes conditions au traitement. En aucun cas le patient ne pouvait délivrer le médecin de ses obligations de secret. Ceci pouvait paraître assez radical, mais c’était parfois une protection. Il était hors de question qu’une compagnie d’assurance ait des informations par l’intermédiaire d’un de ses médecins conseils sur le dossier du patient. Aujourd’hui, on pourrai facilement imaginer qu’une compagnie d’assurance offre un tarif préférentiel à une personne si elle communique les renseignements médicaux auxquels elle a eu accès en consultant son propre dossier. </p> <p>Je voudrais enfin évoquer une question qui reste sans réponse.<br /> Est-ce que l’usage généralisé du dossier médical informatisé va créer de nouvelles pathologies ?<br /> Déjà, à l’heure actuelle, on peut dire que le syndrôme de Munshausen est en voie de disparition. Il s’agit de cas rares Un patient arrive dans un hôpital en ayant une pathologie qui semble complexe, et dont l’origine est en fait factice : par exemple, l’auto-injection d’agents pathogènes, ou des manipulations de traitement induisant des troubles ioniques ou glycériques. Une mise au point complexe est lancée, mais avant que l’on arrive à un diagnostic certain, le patient quitte inopinément l’hôpital. Il va d’hôpital en hôpital en répétant le même scénario, tout en le complexifiant. Il y a eu des patients qui ont eu un tel parcours pendant des années, et qui sont arrivés à créer des pathologies chroniques et réelles, dont l’éthologie restait mystérieuse. Aujourd’hui cela devient quasiment impossible avec la généralisation de l’échange d’information par les réseaux médicaux. La dernière fois que j’ai failli croiser un tel patient, le diagnostic a été établi en quelques minutes, simplement en allant consulter le réseau Abrumed. Le syndrôme de Munshausen va donc rejoindre l’hystérie de conversion, vaincue par les progrès techniques des examens médicaux.<br /> Mais on voit apparaître de nouvelles pathologies, qui ont la particularité d’être difficiles à cerner. Il y eut un temps la maladie de Lyme chronique, caractérisée par une fatigue importante, des pics de température inexpliqués. On a cru un temps que cela était dû aux suites d’une infection transmise par piqûre de tique, et cela a été défendu par quelques médecins qui se sont construit une clientèle en mettant en avant des examens de laboratoire douteux. La fibromyalgie est toujours d’actualité, et elle a succédé au syndrome fatigue chronique. Peut-être que ce n’est pas pour rien que surgissent ces entités difficile à cerner, impossible à quantifier, et qui résistent aux menus déroulants des dernières versions de dossier informatisé. Comment faire entendre la complexité de la vie ou l’âpreté de l’époque ? Il y a des problèmes trop vastes pour être résolus, des questions sans réponses, et la condition humaine ne peut se laisser enfermer dans un ordinateur. Même si l’intelligence artificielle fait des progrès, il y aura toujours un presque rien ou un je ne sais quoi qui dépassera les possibilités de la technologie. Et c’est tant mieux pour notre liberté.<br /> L’informatique permettra peut-être de mieux vivre, ou de vivre autrement. Elle aide la médecine à mieux soigner, et elle assure des traitement optimaux, en fonction des derniers avancements de la science médicale. Ces progrès et cette complexité induisent de nouvelles fragilités, par exemple une vulnérabilité au piratage informatique. Ils imposent aussi de rester attentifs a de nouvelles questions éthiques, concernant le secret médical et le partage des informations. Ils changent la position du médecin, et lui imposent de nouvelles exigences. Pas seulement d’être performant et rigoureux, mais d’affirmer son humanité, et d’oser aller à la rencontre des êtres humains qu’il soigne.</p> </div></div></div> Wed, 19 Apr 2023 09:34:06 +0000 amh 882 at https://psy-bruxelles.be Le plaisir féminin https://psy-bruxelles.be/node/863 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Emilie Peetrons</div></div></div><div class="field field-name-field-titre-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><p>Sexologue</p> </div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p>Voici power point de la présentation d'Emilie Peetrons,</p> </div></div></div><div class="field field-name-field-fichier-public field-type-file field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><table class="sticky-enabled"> <thead><tr><th>Fichier attaché</th><th>Taille</th> </tr></thead> <tbody> <tr class="odd"><td><span class="file"><img class="file-icon" alt="PDF icon" title="application/pdf" src="/modules/file/icons/application-pdf.png" /> <a href="https://psy-bruxelles.be/sites/psy-bruxelles.be/files/Le%20plaisir%20f%C3%A9minin.pdf" type="application/pdf; length=553569" title="Le plaisir féminin.pdf">Présentation du séminaire de janvier 2023</a></span></td><td>540.59 KB</td> </tr> </tbody> </table> </div></div></div> Mon, 23 Jan 2023 08:47:23 +0000 amh 863 at https://psy-bruxelles.be Questions de genre https://psy-bruxelles.be/node/858 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Alizée Bernard, psychologue</div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p></p><br /> <p class="western" style="line-height: 108%; margin-bottom: 0.28cm"> Alizée bernard nous propose quelques références utilisée lors du séminaire <a href="https://psy-bruxelles.be/node/857 ">« Questions de genre ».</a></p> <p class="western" style="line-height: 108%; margin-bottom: 0.28cm"><br /></p> <blockquote class="western"><p>« Je crois fortement qu’on n’est ni homme, ni femme. Juste un corps vivant ». Paul B. Preciado. </p></blockquote> <h3 class="western">Brève partie historique de l’histoire du genre.<br /> </h3> <p class="western" style="line-height: 108%; margin-bottom: 0.28cm"><span lang="fr-BE" xml:lang="fr-BE">Selon le LaRousse, le genre peut-être défini en tant qu’ « ensemble de traits communs à des êtres ou à des choses caractérisant un type, un groupe, un ensemble, sort, espèce ». </span> </p> <h3 class="western">Mais d’où vient cette notion de genre ?<br /> </h3> <p class="western" style="line-height: 108%; margin-bottom: 0.28cm">Initialement, cette notion est apparue sous le terme « gender » aux Etats-Unis dans les années 50 par le biais d’études sociologiques. Ce mot<br /> arrivera ensuite en France dans les années 70 par le biais de féministes qui cherchent à démontrer les inégalités sociales entre hommes et femme. </p> <p class="western" style="line-height: 108%; margin-bottom: 0.28cm">Le genre peut donc être perçu comme un construit social, une base pour tenter d’expliquer les choses qui différencient les femmes, les hommes et toute autres personnes qui ne s’identifient pas à l’une de ses catégories (gender fluide, non binaire, agenre, etc.). Le<br /> genre peut donc se percevoir comme une caractéristique de différenciation sociale, comparé au sexe qui est une<br /> caractéristique physiologique. </p> <p class="western" style="line-height: 108%; margin-bottom: 0.28cm">Notons également que le genre évolue en fonction de la période historique, de la culture, de la société, et il répond à certains stéréotypes. En effet, l’être humain ayant un besoin de catégorisation pour appréhender le monde qui l’entoure, a tendance à se référer à certaines caractéristiques pour définir la manière dont il va s’adresser à quelqu’un. Par exemple, la longueur de cheveux, le port d’une robe ou d’une jupe, va souvent évoquer le genre féminin. Contrairement à une personne avec une coupe courte (dite à la garçonne) ou avec un costard qui sera souvent classer dans un genre masculin. Cependant, si l’on regarde en arrière, les choses n’ont pas toujours été comme cela. A l’antiquité les hommes portaient du rose (symbole de virilité) et des jupes. A la renaissance ils portaient des talons, des perruques<br /> et du maquillage. C’est donc dans un aspect sociétal que les questions de (stéréotypes) de genre se posent.</p> <p class="western" style="line-height: 108%; margin-bottom: 0.28cm">Il est important de noter que le genre porte plus qu’une notion de société et de catégorisation. Actuellement le genre a une fonction identitaire. Le genre étant différent du sexe et donc du corps, il n’est pas rare d’avoir des personnes qui identifient leur genre différemment de l’aspect strictement physique, ce que l’on va alors aborder dans le spectre de la trans-identité. Avoir un pénis ne veut pas dire être un homme, avoir une vulve ne veut pas dire être une femme. C’est entre autre, l’un des combats menés actuellement par la communauté LGTBQIA+ qui cherche à faire valoir une acceptation des genres différents, non binaires, agenre. </p> <p class="western" style="line-height: 108%; margin-bottom: 0.28cm">C’est en tant que fonction identitaire que le genre est mis en avant. Que ce soit par les pronoms, le prénom, la façon de se vêtir, etc. Et c’est un élément qui, même s’il n’a pas une place toujours centrale dans le soin, a son importance et qu’il est important de pouvoir écouter. Le fait de pouvoir appeler nos patient.e.s avec le bon pronom, le bon prénom et de savoir comment iels veulent être<br /> abordé.e.s permet d’avoir un cadre plus inclusif et plus respectueux des besoins de chacun.e.s. C’est dans une idée d’éveiller, de sensibiliser, d’expliquer, de questionner, que ce séminaire est proposé. orique de l’histoire du genre. </p> </div></div></div> Tue, 01 Nov 2022 11:39:05 +0000 amh 858 at https://psy-bruxelles.be Pourquoi un psychiatre dans une équipe bariatrique ? https://psy-bruxelles.be/node/847 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Daniel Desmedt</div></div></div><div class="field field-name-field-titre-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><p>Psychiatre, photographe, chef de service des hôpitaux Iris Sud</p> </div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p><em>Cette mini conférence a été présentée lors d'une journée de présentation du parcours bariatrique des hôpitaux Iris Sud) </em></p> <p> • Qu’est-ce qui vous amène ?<br /> • Je ne sais pas…<br /> • Mais pourquoi venez-vous ?<br /> • C’est le Docteur Mehdi….<br /> • Vous avez sans doute des problèmes…<br /> • Je ne parviens pas à maigrir. j’ai plein de problèmes à cause de mon poids. J’ai mal aux genoux, mal au dos, je ne trouve pas de vêtements, je sais pas jouer avec mes enfants. C’est pour ça que je veux faire l’opération. Si je perds du poids, tout ira mieux….</p> <p>Ainsi, chaque semaine, je vois arriver à ma consultation des personnes qui ne savent pas pourquoi elles viennent. Voir un psychiatre ? Drôle d’idée… Elles n’ont pas besoin de psychiatre, d’ailleurs elles n’ont pas de problème en dehors de leur poids.</p> <p>Samira Oumassane(coordinatrice), Anne-Marie Hassoun (psychologue), Candice Players (diététicienne) et même le Dr Mehdi (chirurgien) leur ont expliqué pourquoi il fallait voir un psychiatre. Mais elles n’ont pas entendu, ou pas compris, ou tout effacé.</p> <p>Je leur rappelle qu’elles vont faire une intervention qui aura des effets tout le reste de leur vie, et que cela vaut la peine d’être prudent, d’essayer de prévoir les problèmes qu’elles pourraient rencontrer… Il n’y aura pas de problème, puisqu’elles ont une amie qui s’est fait opérer, qui leur a tout expliqué, et puis elles ont vu des vidéos sur internet. Tout ira bien, elles savent déjà, et elles sont tellement motivées. </p> <p>Vous remarquerez que j’utilise le féminin : environ 95% des personnes que je vois à la consultation bariatrique sont des femmes. </p> <p>Mon rôle, c’est un peu d’être le méchant flic dans un polar. J’enquête. Je débusque la faille psychique. Je cherche les indices. Je ne donne pas de coups de bottin , mais je fais pire sans doute : je pose des questions incongrues. </p> <p> • Vous avez un problème de poids depuis quand ?<br /> • Depuis sept ans.<br /> • Il s’est passé quelque chose de particulier dans votre vie à cette époque ?<br /> • Non, rien de spécial.<br /> • Où avez-vous grandi ?<br /> • Au Brésil<br /> • Et quand êtes-vous arrivée en Belgique ?<br /> • Il y a sept ans.<br /> • C’est souvent difficile de changer de pays, de s’habituer à une nouvelle ville…<br /> • Non, non, ça s’est bien passé, je suis bien ici.<br /> • Vous vivez seule ?<br /> • oui<br /> • Vous avez des enfants ?<br /> • oui, deux : une fille de douze ans et un fils de huit ans.<br /> • Et ils sont où ?<br /> • Au Brésil, avec ma mère.</p> <p>Son regard s’embrume, elle est visiblement émue, mais très vite elle se reprend, et essaye de me convaincre que tous les problèmes viennent de son poids, que l’opération est la seule chance de maigrir. Quand je la questionne sur les raisons de son émigration, elle évoque le père de ses enfants qui buvait et qui la battait, la situation économique difficile, sa mère qui lui a dit que ce serait mieux de venir chercher du travail en Europe… Elle a une histoire douloureuse, et les larmes affleurent, mais elle préférerait ne pas en parler. Alors, chaque soir, pour calmer les angoisses et le chagrin, elle mange. C’est tellement apaisant de manger : et elle en profite pour retrouver les saveur de son pays. C’est la seule chose matérielle qu’elle a pu garder de son enfance : quelques recettes de sa mère, qui lui rappellent des moments d’insouciance….</p> <p>Ce que je raconte là, c’est un exemple parmi tant d’autres, quelque chose de courant à la consultation.</p> <p>Mon rôle n’est pas de satisfaire la demande, ou de répondre à une attente. C’est d’évaluer un risque, de tenter de se faire une idée des problèmes qui pourraient surgir après une intervention bariatrique, quand la personne voit l’image de son corps changer tellement vite qu’elle ne peut s’accoutumer à de nouvelles perceptions. C’est essayer de prévoir le risque, quand il faut adopter de nouvelles habitudes alimentaires, et qu’il n’est plus possible d’utiliser la nourriture pour calmer les angoisses. </p> <p>Bénéficier d’une intervention bariatrique, ce n’est pas un droit. C’est une démarche thérapeutique lourde, qui doit être évaluée, et dont l’indication doit être posée avec prudence.</p> <p>On sait que le risque suicidaire est augmenté après une intervention bariatrique. A l’unité de psychiatrie de HIS, à un moment donné, il peut y avoir 15% des patients qui ont subi une intervention dans les années qui ont précédé leur hospitalisation. Certains ont développé un éthylisme ou une autre addiction. D’autres paraissent tout à fait déstructurés et désemparés face aux difficultés de la vie. J’ai connu une patiente qui après chaque entretien, au moment de sortir de mon bureau, me demandait : « Et maintenant je fais quoi ? ». Un jour, son compagnon, qui n’en pouvait plus, l’a enfermée dans la chambre de leur appartement. Elle a cherché à en sortir par la fenêtre, et elle s’est tuée en tombant du deuxième étage.</p> <p>Vous devinez aisément qu’il n’est pas facile d’évaluer un risque potentiel, qui se manifestera dans des circonstances finalement fort différentes de celles que vit le patient avant l’intervention. On peut cependant chercher à identifier quelques lignes directrices. </p> <p>Une intervention bariatrique, comme toute intervention, reste un stress, malgré les progrès considérables de la chirurgie. Elle mobilise les capacités d’adaptation du patient, et imposera quelques changements d’habitudes, qui devront s’inscrire dans la durée. Elle nécessite la participation active au processus thérapeutique, principalement après l’intervention Il faut que la personne opérée soit attentive au signaux de son corps, pour savoir adapter sa façon de manger, et éventuellement identifier les sensations annonçant un dysfonctionnement. </p> <p>Avant tout, il y a de grandes différences entre les patients qui connaissent des problèmes de poids depuis l’enfance, et ceux dont l’obésité est apparue tardivement, après une grossesse, un problème endocrinien ou un changement majeur dans la vie.</p> <p>Pour celles et ceux dont l’obésité a été précoce, les dysfonctionnements alimentaires se sont inscrits dans la construction psychique. Par exemple, on voit des mères, ayant elles-mêmes un problème de poids, mettre quelque chose dans la bouche de leur bébé dès que celui-ci crie ou s’agite. Elles ne cherchent pas à savoir ce que leur bébé manifeste comme inconfort, elles lui donnent quelque chose à manger ou à sucer. C’est-à-dire que cet enfant associera réconfort et nourriture, en ayant peu conscience qu’il y a d’autres satisfactions possibles. Aussi, il n’apprend pas à attendre, et n’a pas l’occasion d’expérimenter qu’une sensation dérangeante peut se résoudre spontanément, ou grâce aux multiples ressources de son corps et de son psychisme. A l’âge adulte, cela donne des personnes qui doivent trouver une solution immédiate au moindre inconfort ou à la plus petite angoisse. Ce sont parfois des gens qui parlent vite, sans respirer, sans écouter leur interlocuteur, et qui doivent constamment se donner l’illusion que tout va bien. Elles mangent aussi vite qu’elles parlent, grignotent quelque chose dès qu’il y a un moment de vide, et quand on évoque les difficultés de la période postopératoire, elles évacuent le problème par un processus de pensée magique, où l’imaginaire est tout puissant et ignore les limites de la réalité. </p> <p>Les personnes qui ont développé un surpoids tardivement ont généralement plus de ressources, et savent mieux reconnaître les limites, ou s’adapter à des conditions difficiles.<br /> Cette question des capacités d’adaptation est fondamentale.<br /> Savoir s’adapter, c’est d’abord savoir identifier un problème à travers la reconnaissance de sensations d’inconfort ou de signes de stress. </p> <p>Par exemple, aller vivre dans un nouveau pays est un stress majeur. Quand on arrive en Belgique, que ce soit en venant d’Afrique, du Brésil ou même d’Angleterre, le corps et le psychisme sont confrontés à un afflux de nouveautés. La langue et les sonorités sont différentes, les odeurs sont nouvelles, et marcher dans la ville se fait avec un autre rythme, ne fut-ce que parce que les trottoirs sont différents. Certains découvrent le froid qui agresse tout leur corps, d’autres sont perturbés par un ciel gris et une météo changeante. Un des rares éléments qui peut ne pas changer est la nourriture, à condition de trouver les ingrédients d’une cuisine familière. Beaucoup de migrants continuent à manger des plats de leur pays d’origine chaque fois que cela est possible : cela est important, parce que c’est souvent le seul lien matériel et concret avec leur enfance, leur parents, leur culture. Et cela doit être préservé, même après une chirurgie bariatrique. </p> <p>Beaucoup de migrants prennent du poids dans les années qui suivent leur arrivée en Belgique. Parfois le fait qu’ils aient ici moins d’activité physique joue un rôle, mais l’élément principal est le fait que manger est une façon très efficace et immédiate de calmer le stress. La prise de poids est le signe que les capacités d’adaptation sont dépassées. Ou plutôt qu’un nouvel équilibre s’est créé, en intégrant le fait de manger plus : ce n’est pas un équilibre sain, mais c’est malgré tout un nouvel équilibre. Il serait dangereux de le perturber en proposant une intervention bariatrique sans préparation adéquate. </p> <p>D’une manière générale, il vaut mieux éviter une intervention bariatrique quand la personne est encore dans une situation de stress. C’est pourquoi, il est préférable de ne pas opérer quelqu’un qui vient d’arriver dans notre pays, mais attendre au moins deux ans, si pas plus, avant d’envisager l’intervention . Et ce temps peut être mis à profit pour proposer un accompagnement psychologique et diététique qui facilitera l’intervention. De la même manière, il vaut mieux ne pas intervenir rapidement chez une personne qui se trouve en situation de désarroi social ou relationnel, mais prendre le temps de l’accompagner. Cela permet d’établir de réelles relations thérapeutiques avec l’équipe soignante, et constituera un point d’appui très appréciable. </p> <p>Il convient également de se faire une idée de l’existence d’une structure psychique suffisamment construite pour faire face aux difficultés de la vie. Quelqu’un qui a une sécurité intérieure suffisante, assez de ressources personnelles, peut entendre qu’une intervention a des suites pas faciles. Cette personne prendra le temps de réfléchir et de chercher des solutions, et se fera confiance pour en trouver. Par contre une personne déstructurée ne voudra pas entendre que des problèmes puissent exister, et les évacuera par n’importe quel moyen, y compris en se convaincant que le problème n’existe pas , ou qu’elle a déjà une solution avant d’éprouver la difficulté. Il y a là des mécanismes de pensée magique, où l’imaginaire se croit tout-puissant et condamne à la fuite en avant constante. Ces personnes sont à risque de complication, ou sont susceptible de développer une autre addiction que la nourriture, par exemple une addiction à l’alcool ou aux médicaments. </p> <p>Ce qui me rassure, c’est quand la personne a encore des questions à poser à la fin de l’entretien. C’est le signe qu’elle s’implique activement dans le processus thérapeutique, qu’elle reconnaît que tout n’est pas facile. Celle-là. se fait suffisamment confiance pour trouver des ressources en elle. </p> <p>10_3_2022</p> <p>Daniel Desmedt.</p> </div></div></div> Sat, 12 Mar 2022 16:10:49 +0000 amh 847 at https://psy-bruxelles.be Que sont les salles de consommation à moindre risque ? https://psy-bruxelles.be/node/838 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Julien Fanelli : directeur à l&#039;asbl Transit, en charge des projets de réduction des risques (RdR) ; psychologue de formation, et, Nicolas De Troyer : coordinateur de la SCMR (Gate*) à l&#039;asbl Transit : assistant social de formation</div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p>Présentation de la salle de consommation à moindre risque de Bruxelles</p> </div></div></div><div class="field field-name-upload field-type-file field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><table class="sticky-enabled"> <thead><tr><th>Fichier attaché</th><th>Taille</th> </tr></thead> <tbody> <tr class="odd"><td><span class="file"><img class="file-icon" alt="PDF icon" title="application/pdf" src="/modules/file/icons/application-pdf.png" /> <a href="https://psy-bruxelles.be/system/files/Flyer%20SCMR%20%28Gate%29.pdf" type="application/pdf; length=167165">Flyer SCMR (Gate).pdf</a></span></td><td>163.25 KB</td> </tr> </tbody> </table> </div></div></div> Tue, 05 Oct 2021 15:12:06 +0000 amh 838 at https://psy-bruxelles.be L'impact de la société sur les pandémies https://psy-bruxelles.be/node/827 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Blanche Moinard</div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p>Le 17 novembre 2020, Blanche Moinard nous a parlé des aspects éthiques et sociaux de la pandémie du Covid.<br /> Elle nous autorise à diffuser son texte (sous <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">licence Creative common)</a></p> </div></div></div><div class="field field-name-field-fichier-public field-type-file field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><table class="sticky-enabled"> <thead><tr><th>Fichier attaché</th><th>Taille</th> </tr></thead> <tbody> <tr class="odd"><td><span class="file"><img class="file-icon" alt="PDF icon" title="application/pdf" src="/modules/file/icons/application-pdf.png" /> <a href="https://psy-bruxelles.be/sites/psy-bruxelles.be/files/2020-11-17%20-%20B%20Moinard%20-%20%C3%A9pid%C3%A9mie%20coronavirus_0.pdf" type="application/pdf; length=315243">2020-11-17 - B Moinard - épidémie coronavirus.pdf</a></span></td><td>307.85 KB</td> </tr> </tbody> </table> </div></div></div> Sat, 28 Nov 2020 18:01:22 +0000 amh 827 at https://psy-bruxelles.be Des psychologues en dialyse https://psy-bruxelles.be/node/767 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Maud Spoel, Anne-Marie Hassoun, psychologues en dialyse</div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p></p> <style> <!--/*--><![CDATA[/* ><!--*/ <!-- /* Font Definitions */ @font-face {font-family:Wingdings; panose-1:5 0 0 0 0 0 0 0 0 0; mso-font-charset:2; mso-generic-font-family:auto; mso-font-pitch:variable; mso-font-signature:0 268435456 0 0 -2147483648 0;} @font-face {font-family:Verdana; panose-1:2 11 6 4 3 5 4 4 2 4; mso-font-charset:0; mso-generic-font-family:swiss; 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Nous avons gardé le style parlé dans la retranscription.</p> <p></p></em> <!--break--><p class="StyleCitation"><span style="mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language: FR">Dit par Anne-Marie Hassoun, psychologue (HIS)</span></p> <p class="MsoNormal">Je travaille en dialyse à l’hôpital d’Ixelles (HIS) depuis un peu plus d’une dizaine d’année et depuis quelques temps je commençais à avoir le sentiment de tourner en rond et j’ai eu envie de bousculer ma routine. J’ai proposé à ma collègue Maud Spoel, qui travaille à l’hôpital de Bracops (HIS) de nous rencontrer et de réfléchir à la prise en charge en dialyse. Nous nous sommes rendu compte, avec surprise, que nous avions mises en place des cadres tout à fait différents. </p> <p class="MsoNormal">Nous allons vous raconter ici comment dans une situation identique nous avons imaginé deux cadres tout à fait spécifiques avec chacun leurs qualités et leurs défauts.</p> <p class="MsoNormal">Le séminaire va se dérouler en 5 parties <span style="mso-spacerun:yes"> </span></p> <ul type="disc"> <li><strong>En introduction, le contexte médical</strong>.<span style="mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:FR">  Mark Libertalis nous parlera de ce qui arrive aux patients en dialyse. <i>Cette partie ne sera pas présente dans cette retranscription.</i></span></li> <li><strong> L'intervention de début de dialyse</strong>. Maud Spoel évoquera la prise en charge de début de dialyse.</li> <li><strong>Présentation de nos deux cadres</strong>. Nous évoquerons comment nous sommes nous chacune posée la question du cadre au moment de prendre le service en charge et comment nous l’avons mis en place.</li> <li><strong>Avantages et inconvénients de chaque cadre</strong> : Anne-Marie Hassoun parlera des situations que chaque cadre permet de traiter (avantages et inconvénients)</li> <li><strong>Conclusion et propositions</strong>  par Maud Spoel</li> </ul> <p><br /></p> <h1>L’intervention de début de dialyse</h1> <p class="StyleCitation"><span style="mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:FR">Dit par Maud Spoel, psychologue (HIS)</span></p> <h4>La prise en charge en dialyse</h4> <p class="MsoNormal">Suite au suivi ponctuel de patients insuffisants rénaux dans le cadre de ma fonction de psychologue de liaison, le Docteur Vandervelde, néphrologue, me propose d’intégrer l’équipe de la dialyse afin d’assurer un travail régulier auprès de ces patients.</p> <p class="MsoNormal">Lorsque nous avons envisagé et discuté cette collaboration, le Docteur Vandervelde m’avait part de plusieurs demandes :</p> <ul type="disc"> <li>Des entretiens pré-dialyse systématiques dans le but de dédramatiser la situation, préparer le patient à son traitement, l’aider à surmonter le stress ressenti face à la maladie.</li> <li>Un suivi des patients dialysés.</li> <li>Et des entretiens de soutien des patients hospitalisés soit pour diverses complications, soit en vue des examens pré-greffe. </li> </ul> <p class="MsoNormal">Afin de répondre à ces demandes, j’ai commencé par m’intéresser aux différentes « étapes » du parcours d’un patient insuffisant rénal mais également aux actes techniques auxquels celui-ci<br /> est régulièrement confronté. J’ai donc assisté à quelques consultations du Dr<br /> Vandervelde ainsi qu’à la mise en place d’un cathéter.</p> <p class="MsoNormal">L’équipe des infirmières m’a expliqué le fonctionnement de la machine et m’a permis d’être présente lors de la connexion et la déconnexion d’un patient à celle-ci aussi bien à partir d’un cathéter que d’une fistule.</p> <p class="MsoNormal">Cet apprentissage m’a permis d’appréhender une toute petite part du quotidien et du vécu des patients insuffisants rénaux dialysés.</p> <p class="MsoNormal">Parallèlement, je me suis rendue à plusieurs congrès en France et pris connaissance de la littérature existante.</p> <p class="MsoNormal">Depuis quinze ans, j’ai donc vu systématiquement tous les patients arrivés à la dialyse.</p> <p class="MsoNormal">Dans la mesure du possible, quand les séances de dialyse ne doivent pas être démarrées dans l’urgence, cet entretien pré-dialyse a lieu quelques semaines avant la date fixée de la première séance ou éventuellement lors de la mise en place du cathéter.</p> <p class="MsoNormal">Je reçois le patient seul ou avec son conjoint, sa famille s’il ou elle l’accompagne.</p> <p class="MsoNormal">L’histoire de la maladie, le diagnostic, les antécédents du patient m’ont été préalablement racontés par le Dr Vandervelde.</p> <p class="MsoNormal">Lors de ce premier entretien, je m’intéresse à l’histoire du patient.</p> <p class="MsoNormal">Je l’interroge donc sur son parcours médical, sur l’histoire de sa maladie, mais également sur son parcours de vie.</p> <p class="MsoNormal">Cette démarche me permet de récolter des informations sur l’état de santé du patient, ses connaissances sur l’insuffisance rénale et son traitement, sa perception du diagnostic et sa réaction à celui-ci, sur son régime alimentaire, sa situation de famille et les réactions de celle-ci face au diagnostic, sur ses activités quotidiennes habituelles, sur son état émotionnel et psychologique actuels et enfin sur d’éventuels antécédents à ce niveau-là.</p> <h4>Pourquoi s’intéresser à la maladie et à son diagnostic ?</h4> <p class="MsoNormal">Tout d’abord, parce que l’insuffisance rénale est une maladie silencieuse.</p> <p class="MsoNormal">Les dégâts s’installent sans que le sujet ne s’en rende compte.</p> <p class="MsoNormal">Les reins arrivent jusqu’à un stade très tardif à produire des urines, qui, certes sont de mauvaise qualité mais qui peuvent donner l’illusion d’un fonctionnement rénal satisfaisant.</p> <p class="MsoNormal">Les signes cliniques vont progressivement s’installer mais de manière très variable selon les sujets, certains d’entre eux arrivant à un stade très avancé sans beaucoup de symptômes cliniques. Les anomalies ne peuvent être révélées que par un bilan biologique.</p> <p class="MsoNormal">Le malade n’a guère d’autre choix que de faire confiance au médecin et aux résultats de prise de sang.</p> <p class="MsoNormal">La plupart des patients ont du mal à croire à la nécessité du traitement.</p> <p class="MsoNormal">Certains patients voient la maladie comme une fatalité contre laquelle ils ne peuvent rien. Ils doivent l’accepter, ils n’ont pas d’autre choix.</p> <p class="MsoNormal">« S’il faut, il faut » est quelque chose que nous entendons souvent lors des premiers entretiens.</p> <p class="MsoNormal">D’autres refusent l’idée de la maladie et du traitement. Le temps permet parfois d’envisager un changement de position.</p> <p class="MsoNormal">D’autre part, l’annonce du diagnostic et la perspective de la dialyse entraînent inévitablement un choc.</p> <p class="MsoNormal">Qu’ll s’agisse d’une découverte brutale ou de la fin d’un long processus pendant lequel le malade a espéré échapper à la dialyse, l’annonce du stade terminal de l’insuffisance rénale représente toujours pour le patient un choc.</p> <h4>Pourquoi s’intéresser au traitement ?</h4> <p class="MsoNormal">Je me suis rendu compte, au cours de mon travail à l’hôpital qu’il était parfois difficile pour les patients d’intégrer les informations fournies, soit parce qu’elles étaient énoncées de telle manière qu’elles pouvaient être difficilement intégrées à l’histoire du patient, soit que celui-ci en état de choc et face à la complexité de l’information avait été incapable d’intégrer celle-ci. Ce premier entretien permet de reformuler ou de compléter les données fournies par le médecin ou par les infirmières lors de la visite du service.</p> <p class="MsoNormal">Selon certains auteurs, l’éducation du patient qui s’étend à tous les domaines de la vie est une nécessité. L’éducation du patient consiste avant tout à la transmission, la confirmation et à la répétition continue d’informations diverses sur la maladie et son traitement afin de mieux les comprendre et les accepter. Celles-ci lui permettront de stabiliser son niveau d’anxiété, de réduire son image de malade, de prendre sa part de responsabilités dans le traitement et d’aboutir à une prise en charge personnelle.</p> <p class="MsoNormal">Lorsque les entretiens pré-dialyse précède la mise en place du cathéter, j’aborde la question de manière systématique afin de favoriser<br /> l’émergence de questions mais également des angoisses. Sauf dans le cas où une fistule a été constituée auparavant, la mise en place du cathéter représente le premier acte technique indispensable à la dialyse, mais également la mise en place d’un corps étranger, acte technique qui remet en cause l’image corporelle du patient.</p> <h4>Pourquoi s’intéresser au régime alimentaire ?</h4> <p class="MsoNormal">Le régime alimentaire est un problème important pour un dialysé étant donné que la plupart des « déchets » et de l’eau en excès proviennent de l’alimentation, celle-ci doit être contrôlée. Une diététique convenablement réglée compte parmi les moyens thérapeutiques nécessaires et efficaces.</p> <p class="MsoNormal">L’arrivée en dialyse entraîne donc la plupart du temps une modification des habitudes alimentaires. Le patient va devoir éviter trop de sel, trop de potassium, trop d’eau, surveiller que l’apport en calories et en protéines soit suffisant.</p> <p class="MsoNormal">Une prise en charge et un suivi personnalisé se fera par ailleurs par la diététicienne du service.<a name="_GoBack" id="_GoBack"></a></p> <p class="MsoNormal">En tant que psychologue, je suis à l’écoute des éventuelles difficultés des patients face aux modifications de ce régime alimentaire, à l’application et au respect de celui-ci sur le long terme.</p> <h4>Pourquoi s’intéresser à la famille du patient ?</h4> <p class="MsoNormal">Le diagnostic d’une maladie grave précipite la famille dans une crise émotionnelle aiguë. Celle-ci va devoir faire face à une série de difficultés. Elle va devoir gérer une tension émotionnelle intense, l’incertitude, la menace de mort qui pèse sur le patient.</p> <p class="MsoNormal">L’entourage va être confronté, tout comme le patient à un flot d’émotions : sentiments de d’angoisse, de doute, de culpabilité, de frustration, de colère, de désespoir.</p> <p class="MsoNormal">L’émergence de la maladie va agir en modifiant le milieu de vie du patient, notamment les relations de ce dernier avec les membres de sa famille.</p> <p class="MsoNormal">Elle va également entraîner une réorganisation de la vie quotidienne, des rôles et des fonctions, le malade ne pouvant plus assumer toutes les tâches qu’il remplissait avant l’apparition de la maladie.</p> <p class="MsoNormal">La famille va également être mobilisée de façon à soutenir affectivement le malade.</p> <h4>Pourquoi s’intéresser aux activités habituelles du patient ?</h4> <p class="MsoNormal">La dialyse, par sa forme technique et les contraintes<br /> médicales qu’elle suppose conduit le patient à perdre la plupart de ses points de repères habituels.<span style="mso-spacerun:yes"> Le temps s’arrête, il y a rupture, rêves et projets sont remis en question.</span></p> <p class="MsoNormal">Le patient va être amené à aménager son temps en fonction des trois séances de dialyse par semaine. Sa vie est rythmée par les dialyses.</p> <p class="MsoNormal">Celle-ci est scindée en deux périodes :</p> <p class="MsoNormal">-le temps de la dialyse : il appartient à la machine dispensatrice de vie mais dévoreuse de temps. C’est souvent pour les patients, un temps volé, perdu.</p> <p class="MsoNormal">-Le temps de l’autonomie : c’est la période intra dialyse qui donne l’illusion de la réalité.</p> <p class="MsoNormal">Pour certains patients, toute modification venant amputer cette période est sujet à récrimination ou manifestation dépressive.</p> <p class="MsoNormal">D’autres ont le souci de mettre une barrière entre leur traitement et leur vie privée, entre les deux mondes, celui où il se reconnaît malade et celui où il se sent « normal ».</p> <p class="MsoNormal">Le dialysé est souvent amené à changer de position sociale. Très peu conservent une activité professionnelle complète, difficile à accorder avec les contraintes de la dialyse (les hospitalisations, la fatigue après les séances…). Certains acceptent un emploi à mi-temps mais beaucoup prennent le statut d’handicapé, de pensionné.</p> <p class="MsoNormal">Pourquoi s’intéresser à l’état émotionnel du patient et d’éventuels antécédents ?</p> <p class="MsoNormal">Comme je l’ai déjà mentionné l’annonce du diagnostic et la nécessité du traitement palliatif de la dialyse entraîne un choc et toute une série d’émotions mais également des contraintes et de nombreuses modifications au sein de la famille, de la sphère professionnelle et sociale.</p> <p class="MsoNormal">Tout ceci peut évidemment réactiver des difficultés passées, des expériences douloureuses antérieures.</p> <p class="MsoNormal">Nous savons que les facteurs intra-individuels mais également des variables telles que l’âge, le sexe, la durée de la maladie, le niveau d’éducation, le statu socio-économique, le support social ont une influence sur l’adaptation au traitement.</p> <p class="MsoNormal">Les thèmes d’option de traitements, hémodialyse versus dialyse péritonéale et la question de la greffe peuvent être également discutées lors de cet entretien.</p> <p class="MsoNormal">Avant le démarrage de la dialyse proprement dit, le patient est invité à visiter les locaux du futur traitement et à faire connaissance avec l’équipe infirmière qui le prendra en charge.</p> <p class="MsoNormal">Le suivi des patients dialysés se fait de manière beaucoup moins systématique. Je travaille sur base des demandes de l’équipe infirmière et médicale, en fonction de l’évolution de chacun, des complications en lien avec la maladie ou le traitement ou d’éventuelles difficultés de vie personnelle.</p> <p class="MsoNormal">Lors de moments de crise plus spécifiques, je peux alors rencontrer le patient de manière plus régulière.</p> <p class="MsoNormal">Par contre, lorsque le patient est hospitalisé, la proposition d’entretiens se fait à nouveau de manière plus spécifique.</p> <h1>La description de nos cadres</h1> <p><br /></p> <p class="StyleCitation"><span style="mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:FR">Par Anne-Marie Hassoun, psychologue (HIS)</span></p> <p><br /></p> <p class="MsoNormal">Quand le patient commence à s’adapter à la situation, ce qui a justifié au départ nos entretiens s’estompe, alors se pose la question que faire ensuite ? Nous avons deux dixièmes pour la dialyse, quels services « psy » allons-nous donner en échange ? </p> <p class="MsoNormal">Ceci en sachant que rien du dispositif classique sur lequel s’appuie un entretien psychologique n’est respecté en dialyse. </p> <ul type="disc"> <li>Nous n’avons peu de confidentialité, il nous faut chuchoter pour que les autres patients ne puissent pas entendre. </li> <li>Nous travaillons au vu au su de tout le monde, chacun sait qui est vu et combien de temps.</li> <li>Les stimulations et les distractions sont nombreuses, les infirmières passent, prennent la tension, les voisins se manifestent, la TV continue …</li> <li>Nous pouvons/devons suivre les patients tout au long de leur vie, sans limites de temps.</li> <li>Peu de patients ont demandé eux-même un suivi, il leur a été offert, ils ne l'ont pas refusé.</li> </ul> <p class="MsoNormal">Chacune de nous a inventé une manière de faire dans ces circonstances. Nous avons crées deux cadres issus de nos expériences propres et de la manière dont nous sommes arrivées en dialyse. Ce sont ces deux solutions que nous allons parler maintenant en commençant pas nos arrivées dans nos services de dialyse respectifs.</p> <h1>Nos cadres</h1> <h3>Le cadre mis en place par Anne-Marie Hassoun : un suivi continu</h3> <p><br /></p> <p class="StyleCitation"><span style="mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:FR">Dit par Anne-Marie Hassoun, psychologue (HIS)</span></p> <p><br /></p> <h4>L’arrivée en dialyse</h4> <p class="MsoNormal">Avant de parler de moi, je vais dire un mot de la personne qui m’a précédée. Quand la dialyse s’est ouverte à XL, on l’avait mise dans un box minuscule, l’intimité y était encore plus difficile que dans les conditions normales de dialyse. A l’époque, Anne Chevalier qui assurait ce poste, voyait les patients dans le bureau des médecins avant ou après la dialyse. Elle me disait que seuls les patients les plus structurés venaient la voir, ceux qui avaient une conscience d’eux-mêmes et de leur vie psychique suffisante pour passer encore plus de temps à l’hôpital. Elle insistait sur le fait que ceux qui en avait le plus besoin n’était jamais touché par ce dispositif et le regrettait.</p> <p class="MsoNormal">Cela m’avait marqué et quand j’ai repris ce poste je me suis dit qu’à priori je voulais toucher ceux qui en avaient le plus besoin. Entre temps, la dialyse avait changé d’endroit et je pouvais passer voir les patients pendant leur dialyse à condition d’accepter que la confidentialité ne soit pas vraiment respecté, ce qui à l’hôpital est malheureusement assez courant, j’y suis habituée. </p> <p class="MsoNormal">Au moment où je devais prendre ma fonction un nouveau patient de dialyse était hospitalisé, monsieur G. C’était un grand paranoïaque, à 30 ans, il avait des délires de type de ceux du président <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Paul_Schreber">Schreber</a> décrit par Freud. Je me suis demandé comment il allait pouvoir supporter que son sang lui soit retiré, reviennent dans son corps après qu’on y ait fait quelque chose. Allait-il pouvoir rester ?</p> <p class="MsoNormal">C’était mon premier patient en dialyse, et il m’a semblé que mon rôle était clair, il me fallait l’aider dans la mesure du possible à supporter de se faire dialyser. Quand j’ai pris mes fonctions en dialyse, j’avais donc en tête le modèle de la <a href="https://www.cairn.info/revue-cliniques-2011-1-page-10.htm">contenance</a>.</p> <h4>Le cadre</h4> <p class="MsoNormal">Mon modèle de départ était donc la contenance, je me suis vite rendu compte que si avec les psychotiques c’était souvent très adapté, cela ne cadrait pas bien avec d’autres types de personnalité. Je risquais de me lancer dans des thérapies sauvages, ou, cela m’est arrivé, de susciter des réactions de rejets massifs.</p> <p class="MsoNormal">J’ai donc commencé à adapter ma manière de fonctionner au type de personne qu’était le patient. Je n‘ai pas créé une alternance de période de suivi et non suivi, mais des rencontres dont la fréquence dépend de la personne, des moments de sa vie ou du contenu des rencontres. </p> <ul type="disc"> <li>Si lors d’un entretien, il y a eu une réflexion importante, je reviens la fois suivante voir si le patient a besoin de quelque chose, puis j’espacerais un peu la prochaine rencontre de manière éviter que le travail devienne trop intense et trop toucher aux défenses. Nous ne sommes pas en thérapie. </li> <li>Si l’entretien a été vide, je reviendrais dans quelques séances. Ceci pour éviter de transformer notre relation en relation de comptoir.</li> <li>Si quelque chose se passe pour le patient (maladie, difficulté liées un événement de vie…) je me rends plus disponible.</li> </ul> <p class="MsoNormal"><strong>Concrètement</strong>, quand je vois un patient en début de dialyse, je lui explique à quel moment de la semaine je passerais en général. Je lui dis que l’on est appelé à se voir sur le très long terme et que je ne passerais pas à chaque séance, mais que s’il veut me voir il peut m’interpeller ou demander mon passage aux infirmières. </p> <p class="MsoNormal">Je lui dis qu’à l’inverse si un jour lui n’a pas envie de me voir, parce qu’il n’a rien à dire, parce qu’il se sent mal ou pour tout autres raisons, il peut me le dire. Peu de patients le font facilement, mais je tiens à leur rappeler cette possibilité et je suis très attentive à tous les signes qui pourraient indiquer que le patient ne souhaite pas me voir. Mon expérience est que chez certains patients, un peu rebelle, expérimenter que je respecte cet engagement facilite la relation.</p> <p class="MsoNormal">Avec chaque patient, je créé ainsi un rythme qui va dépendre de sa manière de fonctionner avec moi. </p> <ul type="disc"> <li>Madame D a presque toujours envie de me voir et je la vois chaque fois que je peux, avec elle je fais un travail de contenance. </li> <li>Madame A me dit quand elle veut me voir ou pas, en moyenne une fois toutes les quatre semaines, mais elle fait un authentique travail ces jours là. </li> <li>Monsieur M aime avoir de la compagnie et bavarder, je le laisse faire une fois par mois, un peu moins. De temps en temps il me demande un avis « autorisé » sur une chose ou l’autre, c’est l’occasion de faire un petit travail de psychologue.</li> <li>Madame H est délirante, un gentil délire qui ne gène pas sa vie, elle est institutionnalisée et fonctionne généralement bien ainsi. Suivant les moments, elle souhaite ou pas que je vienne la voir. Je suis son rythme et surtout, je ne souhaite pas toucher à son équilibre. Je la vois donc un temps assez court. </li> <li>Madame Y voulait un vrai travail, elle devait être greffée et supportait mal l’idée d’accepter le rein de la personne qui allait le lui donner, elle m’a demandé des séances individuelles,<em> c’est la seule personne<br /> qui l’a fait en 13 ans de dialyse</em>.</li> <li>D’autres personnes ne souhaitent pas me voir ou ne parlent pas français, je me contente de les saluer, y compris quand ils sont hospitalisés. </li> <li>C’est parfois à l’occasion des hospitalisations que des liens se nouent. Monsieur N, par exemple, n’aimait pas trop l’idée d’être vu par une psychologue. Lors d’une hospitalisation que j’ai vu sa femme qui était angoissée par son état, un jour elle a souhaité que l’entretien se déroule avec lui. A partir de se moment, il lui est arrivé de m’interpeller quand ses problèmes l’angoissait trop.</li> </ul> <h5>Remarque</h5> <p class="MsoNormal">autour de chaque lit de dialyse, on peut tirer des rideaux. Je ne le fais jamais, car j’ai constaté que quand je le faisais aussi bien le patient que moi nous oublions que nous sommes en public. Nous prenons alors moins de précautions pour garder un minimum de confidentialité. </p> <p>Par exemple, il m'est arrivé d'être avec une patiente que je connaissait bien, avec laquelle il y a une alliance bien installée. Une infirmière a fermé les rideaux autour de nous. J’ai oublié la situation, j’ai eu le sentiment d’un espace intime. Je me syis donc permi de dire quelque chose d’un peu remuant. Avzc cette patiente, c'était tout à fait adéquat, d’ailleurs la patiente en a fait quelque chose. Mais là, une voisine écoutait. Cette voisine avec qui j’avais de bonnes relations, même si elles étaient superficielles, n‘a plus jamais voulu me parler.</p> <h2>Le cadre mis en place par Maud Spoel, un travail en tranche</h2> <p class="MsoNormal">Lors des discussions que nous avons eu avec Anne-Marie, je me suis rendue compte que le cadre que j’ai pensé et mis en place en dialyse rejoignait ma réflexion initiale lors de ma prise de fonction en tant que psychologue eu sein des salles d’hospitalisation à Bracops.</p> <p class="MsoNormal">Là également, j’ai été amenée à réfléchir en fonction des différents types de pathologie des patients auxquels j’étais confrontée. J’ai donc pensé ma méthode de travail en fonction du terrain.</p> <p class="MsoNormal">Lors de mon arrivée en dialyse, comme je l’ai dit, il y avait les demandes du service mais également la manière dont j’appréhendais un patient en général.</p> <p class="MsoNormal">J’ai toujours considéré le patient dans sa globalité. J’aborde donc le patient au travers des motifs d’hospitalisation, de sa maladie mais également en tenant compte de son parcours de vie et de son environnement.</p> <p class="MsoNormal">Il était donc important pour moi de rencontrer les patients chroniques, insuffisants rénaux dialysés, sur base de ce modèle là également, et de pouvoir les accompagner aussi bien dans des difficultés que l’on peut retrouver dans le cadre de la plupart des maladies (deuil d’un corps sain, perte d’un organe vital, confrontation à l’idée de mort, sentiment de dépendance, de culpabilité par rapport à la famille, sentiment de révolte, tristesse, d’agressivité…), mais également par rapport à des questions très spécifiques au traitement de dialyse (dépendance à la machine, circulation extra-corporelle, modifications physiques dues au traitement, notion de temps, diététique contraignante, horaires contraignants,, diverses complications, confrontation aux autres patients, décès fréquents dans la population dialysée qui l’entoure..).</p> <p class="MsoNormal">Par ailleurs, la première situation à laquelle j’ai été confrontée en dialyse a peut-être elle aussi déterminé la manière dont j’ai élaboré mon cadre de travail.</p> <p class="MsoNormal">Le projet de collaboration n’était pas encore abouti, quand Le D Vandervelde m’a demandé de rencontrer Mme D.</p> <p class="MsoNormal">Le médecin et les infirmières me décrivent une patiente globalement bien adaptée à son traitement et particulièrement compliante à son traitement et eu respect de son régime alimentaire mais qui se déprime depuis quelques temps.</p> <p class="MsoNormal">L’équipe a des difficultés à comprendre ce qui se passe d’autant plus que Mme D. ne désire pas s’exprimer.</p> <p class="MsoNormal">Au fur et à mesure de l’entretien, elle finit par m’expliquer que ce qui le rend triste c’est de ne plus pouvoir aller au restaurant avec ses filles et ses petites-filles, de ne plus pouvoir profiter de ce plaisir en famille, étant tenue de faire attention à la restriction en sel.</p> <p class="MsoNormal">Elle me dit ne pas oser en perler au médecin et à l’équipe de peur d’être considérée comme une mauvaise patiente. Je lui propose alors d’en parler moi-même au néphrologue afin de lui exposer la situation et d’envisager d’éventuelles solutions au problème, ce qui a permis à Mme D. de pouvoir retourner au restaurant avec ses filles en tenant compte de conseils du médecin.</p> <p class="MsoNormal">Mme D., première patiente de la longue liste de patients rencontrés en dialyse m’a donc d’emblée confrontée à une question très spécifique à la dialyse, le régime alimentaire, ses contraintes et la recommandation de manger sans sel.</p> <h1>Les deux cadres en situation</h1> <p><br /></p> <p class="StyleCitation"><span style="mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:FR">Dit par Anne-Marie Hassoun, psychologue (HIS)</span></p> <p><br /></p> <p>Nous avons donc crée deux cadres. Chez Anne-Marie Hassoun, le travail est continu avec une alternance d'intensité, chez Maud Spoel, le travail est organisé par tranche. Je vais parler ici des avantages et inconvénients des deux modalités de fonctionnement.</p> <h3>Quelques situations spécifiques</h3> <h5>La jalousie dans « fratrie »</h5> <p class="MsoNormal">Un des aspects de dialyse est que patient sait ce que l’autre reçoit, qui est vu par une psychologue et quand, tout se passe en public. </p> <p class="MsoNormal">Dans le dispositif de Maud Spoel, cela permet à chacun de savoir qu’il se passe quelque chose pour le voisin. Le problème semble se poser en termes de confidentialité. </p> <p class="MsoNormal">Dans le Dispositif d’Anne-Marie Hassoun, la question se pose plutôt en termes d’arbitraire. De très rares patients ont compris que le rythme avec lequel je les vois n’est pas arbitraire, il y en a même un qui s’est amusé une fois à me dire « aujourd’hui vous allez voir monsieur X », c’était juste. Mais je pense que la plupart des gens doivent le vivre comme aléatoire. </p> <p class="MsoNormal">Nous n’avons jamais trouvé comment traiter cet aspect. Nous ne sommes pas dans une institution psychiatrique où nous pourrions en faire l’objet d’une discussion collective. C’est un des angles noirs de nos méthodes qui ne peut être évité qu’en retournant à un cadre plus classique de relation duelle.</p> <h5>Le temps et son usage, l'exemple des patient qui viennent de régions du monde où la médecine est moins accessible.</h5> <p class="MsoNormal">A l'hôpital d'Ixelles, nous avons beaucoup de patients africains peu habitués à l’idée de maladie chronique, surtout ceux qui viennent de région où les médecins sont rares. Ils vivent en général dans l’attente de ce qui va se passer : la guérison ou la mort. Ils le disent, ils sont entre parenthèses. L’idée de maladie chronique avec laquelle il faudra vivre ne fera son chemin que très lentement.</p> <p class="MsoNormal">Il y a une résistance très forte à l’évolution de cette représentation car accepter qu’il faut vivre avec la maladie signifie accepter de faire sa vie ici loin des siens que l’on ne pourra plus jamais revoir.</p> <p class="MsoNormal">Face à ce type de difficulté le très long terme est aidant.</p> <h5>Patient sans volonté ou capacité de parler :</h5> <p class="MsoNormal">Dans un travail par tranche, l’alternance permet de revenir quand il y a un besoin ou une attente.</p> <p class="MsoNormal">Chez moi, le cadre est peu adapté à une reprise des entretiens après un refus, même si cela arrive.</p> <h5>La greffe </h5> <p class="MsoNormal">La greffe est un espoir un peu effrayant. Les patients en attente ont de multiples angoisses à sont propos. Un des thèmes important à traiter est celui de la dette vis-à-vis du donneur. La greffe et le début de dialyse sont des entités psychologiquement identifiables, les deux dispositifs offrent des moyens de l’aborder.</p> <h3>La personnalité du patient</h3> <h5>Patient psychotique, la fonction de contenance et l’infini :</h5> <p class="MsoNormal"><i style="mso-bidi-font-style:normal">Par définition, j’ai suivi les patients psychotiques qui s’étaient soumis à la nécessité de la dialyse. Je ne parlerais donc pas de déni de la nécessité de se laisser dialyser.</i></p> <p class="MsoNormal">Une fois l’alliance crée, la demande du patient psychotique est souvent sans fin aussi bien en ce qui concerne l’entretien qu’en ce qui concerne la durée du suivi. Son objectif est la contenance. </p> <p class="MsoNormal">Mon cadre a été fait pour ce type de patient, il y est adapté. La principale difficulté que j’ai eu a été institutionnelle. </p> <ul>Je vous ai parlé tout à l’heure de monsieur G, ce grand paranoïaque qui a été mon premier patient de dialyse. Pendant deux ou trois ans, il a réussit à se contenir. Un jour, je reviens de vacances et l’équipe infirmière me dit, il qu’il ne va pas bien. Je vais le voir, il est en plein délire et je stoppe vite l’entretien car j’ai conscience que si je reste et que j’essaye de parler avec lui, je vais devenir moi-même un mauvais objet, je préfère préserver ce que je peux de notre alliance passée. Je vais voir l’équipe et dit qu’il faut appeler un psychiatre. Réaction d’une infirmière : « à quoi tu sers, tu y vas quand tout va bien, et quand ça va pas on doit<br /> appeler le psychiatre ». </ul> <p class="MsoNormal"><b style="mso-bidi-font-weight:normal">Comment lui répondre ?</b> L’effet de ce type de travail est non quantifiable puisqu’il ne s’agit pas de changement mais d’aider le patient à rester aussi adapté qu’il en est capable. On ne peut le mesurer, sauf en remarquant que, lors de longues absences de la psychologue, le patient est plus souvent malade (physiquement) ou plus agité. </p> <p class="MsoNormal">Le type de dispositif par tranche n’offre pas cette fonction, ou ne l’offre que partiellement</p> <h5>Patient pervers, l’emprise et l’infini :</h5> <p class="MsoNormal">Les patients pervers peuvent avoir du mal à s’adapter à la réalité de la dialyse à vie. Leur défenses qui leurs permettent d’éviter le choc au départ, limitent aussi leur capacité à se soumettre à la réalité. Le suivi d’après début de dialyse peut être long, j’en ai qui ne se sont jamais terminé objectivement.</p> <p class="MsoNormal">Une autre difficulté est que les patients sont bien conscients que s’ils demandent à voir le psychologue, celui-ci se trouve dans l’incapacité de le refuser. Certains tentent d’initier une relation d’emprise en utilisant cette réalité. Les masochistes en particuliers qui suscitent momentanément l’investissement de l’équipe. </p> <p class="MsoNormal">Pour le soignant, la relation d’emprise est difficile à vivre et s’offrir à ce type de transfert sans le cadre ni l’alliance qui permettait de le travailler n’a aucun autre intérêt que de permettre au patient d’en jouir.</p> <p class="MsoNormal">Personnellement, je n’ai pas trouvé d’autres solutions que d’arrêter l’entretien dès que je perçois des signes de ce type. Je reste disponible pour des entretiens durant laquelle la personne parle d’elle-même, mais pas ceux où l’objectif est la jouissance de l’emprise. Le résultat est, qu’assez rapidement, leur demande cesse tout à fait, ils ne veulent plus me voir. </p> <p class="MsoNormal">Si les soignants me demande de revenir voir ces patients parce qu’ils ont une difficulté de vie, cela ne pose souvent des problèmes. Sachant que je ne me prête pas à leurs jeux, ils ont tendance à me rejeter.</p> <p class="MsoNormal">Le type de dispositif de Maud est plus adapté à ce type de patient, il n’offre pas au patient l’emprise qu’impose la prise en charge permanente</p> <p class="MsoNormal"><b style="mso-bidi-font-weight:normal">Les patients narcissiques</b> sont un peu différents, avec eux c’est sur le long terme que le lien se crée dans une alternance entre présence à la demande et la légèreté du fil qui maintien le lien le reste du temps.</p> <p class="MsoNormal">A cet égard, je pense que les deux dispositifs sont équivalents, être disponibles au moment cruciaux, accepter de s’effacer le reste du temps, la forme change mais le résultat est le même.</p> <h5>Patient border line, le clivage de l’objet :</h5> <p class="MsoNormal">Le patient est demandeur de continuer le suivi infiniment jusqu’au moment ou pour une raison ou une autre la psychologue devient un mauvais objet. Ce type de suivi peut se terminer brutalement après des vacances un peu trop longues aux yeux du patient par exemple. La situation offre peu de possibilité d’élaborer la situation avec le patient.</p> <p class="MsoNormal">Je cesse alors de le voir, il est très rare qu’il m’accepte de nouveau. C’est une des difficultés mon mode de fonctionnement.</p> <p class="MsoNormal">Je pense que le dispositif de Maud &gt;Spoel est peut-être plus opérant, à condition de pouvoir terminer une tranche sans susciter un sentiment d’abandon ce qui n’est pas simple. </p> <h5>Le névrosé</h5> <p class="MsoNormal">Quand il est relativement équilibré le névrosé s’accommode assez bien des deux dispositifs. </p> <p class="MsoNormal">La difficulté dans mon cadre consiste à ne pas dériver vers une relation de type amicale, dans le cadre de Maud Spoel, c’est la jalousie dans la fratrie qui doit être le plus présent.</p> <p><p></p></p> <h3>Les demandes du soignants</h3> <h5>Rendre le patient compliant</h5> <p class="MsoNormal">Parfois les soignants demandent au psychologue de rendre le patient plus compliant à son traitement pour de meilleurs soins. </p> <p class="MsoNormal">Il n’est déjà pas facile de changer de comportement quand on le souhaite et que l’on choisi de faire une thérapie (voir les problématiques d’addiction par exemple). Il est possible de faire de manière momentanée avec un objectif assez puissant, un régime, un traitement de courte durée. Mais changer de comportement à vie est d’une autre nature et demanderait parfois une thérapie ce qui n’est pas faisable dans un travail de dialyse. </p> <p class="MsoNormal">On peut soutenir une volonté de changer de comportement. On peut aider les patients qui le souhaitent le faire en l’aidant à identifier les blocages. On peut aussi, s’il s’y prête, l’inviter à mesurer l’importance des adaptations demandées par les soignants. Quant à imposer un changement de comportement, ne serait ni éthique ni faisable. </p> <h5>Aider le patient face à une situation de vie difficile</h5> <p class="MsoNormal">Le soignant signale une difficulté chez le patient, ou le patient demande le passage de la psychologue. </p> <p class="MsoNormal">Tous les patients n’ont pas toujours envie ou besoin d’une intervention psychologique chaque fois qu’il leur arrive quelque chose, mais le psychologue se doit de proposer ses services pour le cas où ils en ressentiraient le besoin. Quelque soit le cadre, nous le faisons, l’accueil dépend du patient.</p> <p class="MsoNormal">Il est par contre assez intéressant de voir ce que le patient dit à qui. Il n’est pas rare que les infirmières soient au courant de plus d’événements de la vie des patients que moi, y compris certains tristes. Parfois c’est parce qu’elles les voient plus souvent que moi, parfois parce que ce n’est pas toujours ces événements qui leurs posent problèmes. </p> <h5>L’impact de la différence des cadres</h5> <p class="MsoNormal">Chez moi, il n’y a pas de discontinuité avec le reste du suivi. C’est l’alliance crée au cours du temps qui va éventuellement permettre une intervention </p> <ul type="disc"> <li>Madame A, dont j’ai déjà parlé s’est retrouvé face à une situation qui mettait en danger son pronostique vital. Une solution existe, mais elle s’y était toujours refusée pour des raisons que je comprends très bien, mais qui face à l’enjeu devenait peut-être moins pertinente. C’est grâce au lien et au travail fait que j’ai pu questionner cette pertinence et parler du peu d’importance qu’elle accordait à sa propre vie.</li> <li>Monsieur K est un caractériel avec de fort trait paranoïde. Le type de patient qui passe d’une dialyse à l’autre. Il a souvent « menacé » de quitter la dialyse d’Ixelles. Ce n’est pas en soi un problème, sauf que cela ne résoudrait rien.. Jusqu'à maintenant, je suis arrivé à le calmer et à lui faire entendre que l’attitude des soignants n’était pas contre lui mais pour eux même. </li> </ul> <p class="MsoNormal">Chez Maud Spoel, il est peut être plus facile de centrer une tranche de travail sur un thème avec lequel elle vient. Ne fusse que parce que c’est le moyen de la garder un peu. Les patients s’ennuient en dialyse, si accepter de travailler sur un thème la fait venir, cela vaut peut-être la peine pour certaines personnes. Je suis certaine que c'est un levier puissant.</p> <h1>Conclusion</h1> <p class="StyleCitation"><span style="mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:FR">Dit par Maud Spoel, psychologue (HIS)</span></p> <p class="MsoNormal">En guise de conclusion, je désirais vous faire part de quelques unes de nos réflexions.</p> <p class="MsoNormal">Si des thèmes comme la notion de temps perdu, la durée des séances de dialyse, le régime alimentaire, les médicaments, les complications, la fatigue sont des thèmes récurrents, nous avons constaté, lors de nos échanges que la question de la sexualité et ses troubles ne l’étaient quasiment jamais même chez des patients plus jeunes.</p> <p class="MsoNormal">Nous nous somme demandé pourquoi et si cette question était abordée en consultation avec le néphrologue.</p> <p class="MsoNormal">Nous avons également constaté que les contacts avec les familles étaient assez rares. S’est posé la question d’entretiens plus systématiques avec celles-ci.</p> <p class="MsoNormal">Enfin, la question du groupe de patients et sa dynamique nous paraissait assez caractéristique du travail en dialyse avec des questions autour des décès de patients et de la répercussion de ceux-ci sur le groupe restant.</p> <p></p></div></div></div> Mon, 10 Sep 2018 11:28:24 +0000 amh 767 at https://psy-bruxelles.be L’hôpital, la cité, le temps. https://psy-bruxelles.be/node/764 <div class="field field-name-field-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even">Daniel Desmedt</div></div></div><div class="field field-name-field-titre-auteur field-type-text field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even"><p>Psychiatre, photographe, chef de service des hôpitaux Iris Sud</p> </div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p>Je vais vous parler du temps qui passe, au risque de prendre trop de temps, de paraître trop long, ou ennuyeux parfois. Mais prenez cela comme une expérience de ce temps qui passe sans nous demander notre avis, parfois trop rapide, parfois trop long. Picorez ce qui vous intéresse dans ce que je vous dis, et surtout, écoutez vos propres questions, et n’ayez aucune retenue à les partager.</p> <p>Pourquoi parler du temps ici ? Notamment parce que la question du temps se pose très aiguë à l’Hôpital. Il faut aller de plus en plus vite, les séjours sont de plus en plus courts. Mais l’être humain ne change pas. Son corps ne guérit pas plus vite, ses blessures mettent le même temps à cicatriser. Et le psychisme a aussi besoin de temps, pour digérer des nouvelles difficiles, pour s’habituer à des changements dans le corps et la façon de vivre, pour trouver de nouvelles façons de vivre chez soi. </p> <p>Mieux comprendre comment nous vivons le temps qui passe peut aider à mieux soigner. Mais cette question du temps nous concerne tous, puisque nous ne pouvons y échapper. Elle prend une acuité particulière à notre époque, où tout s’accélère, et où les perceptions et les usages du temps peuvent sembler devenir incohérents. On nous demande de travailler plus longtemps avant la retraite, mais en même temps, il faut devenir plus adaptables, et pouvoir changer d’emploi à n’importe quel âge, peu importe le contexte économique et social. Internet et les multiples écrans donnent une impression d’instantanéité, mais nous n’avons pas le temps de digérer toutes les informations. Et la rapidité de l’informatique ou des jeux vidéo semble peu compatible avec le temps du corps, du rêve ou du désir. </p> <p>Alors, comment nous entendre avec ce temps qui semble aller trop vite ?</p> <p>Je vais commencer par une petite histoire personnelle. </p> <p>Je fais de la photo depuis mon enfance. C’est ma passion. Je fais des photos avec des appareils traditionnels. Je développe les négatifs, je les agrandis. Tout cela prend du temps. Ou plutôt le temps continue à s’écouler entre le moment de la prise de vue et le moment où je découvre l’image. Et je n’ai jamais eu envie de renoncer à ce lent processus pour passer à la photo digitale, tellement plus pratique.<br /> Pourquoi ?<br /> C’est une affaire de temps et de sensations.<br /> Quand je photographie des gens, ou un paysage, j’imagine l’image finale, je la rêve, je la désire. Je crois avoir arrêté une parcelle minuscule du temps, l’avoir arrachée au fil implacable du temps qui passe. L’image est fixée sur le film, enregistrée de façon ténue par les grains d’argent. Elle existe déjà, mais est invisible : elle est juste une promesse, un espoir. Je possède un objet, tout à fait matériel et limité, le film, qui porte une image. Avec précaution, je vais le développer dans ma chambre noire, par la magie de produits mystérieux. Puis il y a le moment où je découvre le film développé : l’image en négatif me livre une promesse déformée du tirage final. Je suis soulagé de ne pas avoir complètement raté le processus, je revois plus ou moins ce que je saisissais dans le viseur de mon appareil, je rêve à la photo qui n’existe pas encore. Puis je fais les premières épreuves de lecture, celles qui m’indiqueront ce que peut montrer ma photo.<br /> Des jours, parfois des semaines se sont écoulées depuis le moment de la prise de vue. La photo était toujours une image d’un moment qui a disparu, un témoignage du « ça a été ». </p> <p>On pourrait croire que je suis impatient de voir enfin cette image promise. Peut-être vous impatientez-vous de ma lenteur. Mais prenons le temps, ou plutôt, laissons-nous prendre par le temps. De toute façon, il ne nous a pas demandé notre avis, et nous n’avons pas le choix. </p> <p>Une fois que j’ai les premières épreuves, vous imaginez peut-être que je vais me hâter de faire les agrandissements des images choisies.<br /> Eh bien non !</p> <p>Je vais les oublier un peu, les laisser reposer, comme un bon vin qu’on laisse mûrir dans la cave.<br /> Comme j’ai de l’expérience, depuis les quelques dizaines d’années que je fais de la photo, je sais que je rate beaucoup de prises de vue, et que les bonnes photos sont rares.<br /> Donc je laisse le temps passer. Il faut que j’oublie les circonstances de la prise de vue, l’émotion du moment, l’espoir que j’avais au moment où j’ai poussé sur le déclencheur. Il faut l’oubli pour laisser de la place à une autre expérience. Il faut avoir oublié la séduction de la scène photographiée. Il faut une page blanche, il faut découvrir mes premiers tirages au départ d’une certaine neutralité. Il faut être dans un temps nouveau pour vivre une autre expérience. C’est à ces conditions que je peux réellement regarder mes épreuves, et ne voir qu’elles. Les regarder comme des images sur une feuille de papier, en faisant abstraction de ce que j’ai vécu à la prise de vue, de l’excitation et des sensations qui entouraient l’instant du déclenchement. Il a fallu que le temps passe pour que je puisse entrer dans cette nouvelle expérience, et sélectionner sans regret les photos qui ont un intérêt par elles-mêmes.</p> <p>Pour moi, la photo traditionnelle est un art du temps. D’un temps qui est en relation avec le corps, avec ses sensations, avec le temps du souvenir et le temps de l’oubli. Elle est instantanée, et elle est lente. Les étapes se déroulent dans un temps qui permet à une sensation de succéder à une autre : à l’instant de la prise de vue succédera, le moment venu, le temps de la découverte de l’image, et, entre les deux, il y aura eu les jours et les semaines qui permettent de passer d’une expérience à l’autre.</p> <p>Avec la photo digitale, c’est tout différent. A peine la photo prise, je peux la découvrir sur l’écran de l’appareil. Mais je suis toujours dans la même sensation, la même expérience. Je regarde instantanément l’image de la scène que j’ai sous les yeux, et je n’ai pas l’occasion de prendre du recul, de me construire une autre perception. Cette image-là n’est que la répétition de la scène que je regarde, un peu comme le reflet dans le miroir. Je la garde si elle me plaît, c’est-à-dire si elle correspond bien à ace que j’ai ressenti au moment de la prise de vue. </p> <p>Personnellement, je n’aime pas la photo digitale pour une raison peu avouable. Je vois directement mes échecs, mes ratés, et je n’ai pas le temps de rêver. Je n’ai pas le temps de désirer, d’imaginer cette photo merveilleuse que j’ai peut-être capturée, et qui s’avérera sans doute sans intérêt. Le côté immédiat pourrait me donner une jouissance instantanée, mais m’expose à une frustration non moins instantanée. Je répéterai sans doute la prise de vue, jusqu’à ce qu’elle me donne satisfaction. Mais je ne ferai que répéter la même expérience. Pour moi, cette rapidité va à l’encontre du temps qu’il me faut pour rêver, pour imaginer, pour élaborer, pour construire. </p> <p>Je vous ennuie peut-être avec ma lenteur. Mais ce que je vous expose a des conséquences plus générales. Regardez un vieil album de photos. Sur les photos de groupe, il y a toujours quelqu’un qui fait une drôle de tête, une expression un peu bizarre, mais qui est tellement familière. Avec un appareil digital, cette photo aurait directement été mise à la poubelle… Et pourtant, elle est sans doute précieuse, parce que tellement humaine. Le risque, actuellement, est de ne plus avoir que des photos de gens souriants, montrés sous leur meilleur profil, mais qui deviennent peut-être des mannequins sans vie.</p> <p>Vous avez sans doute eu l’occasion de redécouvrir une vieille boîte à chaussures pleine d’images oubliées. Vous l’ouvrez et vous découvrez un tas de photos maladroites, mais qui font revivre tellement de souvenirs… Toutes ces émotions liées aux maladresses, à ces imperfections tellement humaines. Ces ratés qui parlent de la vie, et qui ont été conservés parce que se débarrasser d’une photo sur papier nécessite un geste délibéré et pensé, alors que pousser sur la touche « delete » se fait en un instant, parfois sur une impulsion irréfléchie. Les générations suivantes n’auront plus ce plaisir. Dans le meilleur des cas, elles découvriront quelques images plus ou moins aseptisées. Et dans le pire des cas, nos enfants ou nos petits enfants trouveront quelque part un vieux disque dur, ou un ordinateur démodé et impossible à faire fonctionner, juste bon pour le rebut, avec tous les souvenirs qu’il contenait. </p> <p>Le progrès technologique a créé des décalages entre le temps de l’information et le temps de notre être. </p> <p>Avant, dans une histoire d’amour débutante, nous attendions patiemment une réponse à une lettre. Et les aléas de la poste nous mettaient à rude épreuve. Téléphoner à l’être aimé supposait d’attendre qu’il soit à portée d’un téléphone relié à un fil, et de préférence situé dans une pièce à l’abri des oreilles indiscrètes. Être adolescent, au siècle dernier, impliquait d’attendre le moment propice, où papa et maman seraient éloignés du téléphone familial, qui malheureusement trônait au milieu du salon. On pourrait croire que c’est mieux maintenant. Pas tout à fait. Avant, on commençait à s’inquiéter si on n’avait pas de nouvelles après un jour ou deux. Maintenant on commence à s’angoisser si on n’a pas de réponse au SMS qu’on a envoyé il y a cinq minutes… Finalement, les seuls qui en tirent vraiment un bénéfice sont les psychologues et les psychiatres, qui voient arriver des amoureux stressés et anxieux, dont le temps suit le rythme effréné de la communication instantanée. </p> <p>Je pourrais aussi vous parler des jeux vidéo, et de la dépendance qu’ils suscitent parfois. Là aussi, le problème est lié au temps. Ces jeux donnent une satisfaction immédiate, une excitation qui pousse à continuer, un manque que l’on peut avoir l’illusion de combler à la partie suivante. La frustration n’est plus que la promesse d’une nouvelle victoire, l’instant suivant. Et le temps du joueur devient identique au temps de la machine. En plus, chaque partie donne l’illusion que le temps peut être réversible. Si l’on a perdu, il suffit de revenir en arrière, de repartir, vers un avenir immédiat qui sera sans doute meilleur que le précédent.</p> <p>Les jeux vidéo donnent l’impression d’être dans un autre temps, différent du temps de la vie. Qu’est-ce que le temps finalement ?</p> <p>Nous vivons dans l’instant présent, avec la trace du passé, de tous les instants qui ont précédé notre présent, et qui ne sont plus. Nous nous projetons vers l’avenir, qui n’existe pas encore, et que nous ne pouvons qu’imaginer. Le temps est irréversible : il passe, il nous échappe, et nous ne pouvons rien y faire. Nous ne pouvons pas changer ce qui a eu lieu, nous pouvons juste agir sur les conséquences présentes et futures de ce qui se passe.</p> <p>Parfois une seconde peut tout faire basculer. Le fil du temps semble se casser, ou se tordre, et notre psychisme fera ce qu’il peut pour restaurer la continuité.</p> <p>22 Mars 2016. Nathalie est dans le métro. Avant de partir, la radio avait annoncé un attentat à l’aéroport. Elle sait qu’il y en aura d’autres. Elle se perd dans ses pensées. Soudain, un éclair, un choc, la chaleur. Elle a compris. La vitre du métro a été arrachée, elle sort en enjambant les bouts de ferraille, ne se retourne pas. Elle avance, poursuivie par la fumée. Elle monte, se retrouve à l’air libre, s’assied, ou plutôt s’écroule. Elle attend les secours, réussit à téléphoner à son mari, dit qu’elle est sauve.</p> <p>Quelques mètres à côté, Emmanuelle a vu la boule de feu, elle a senti le souffle. Un peu étourdie, elle hésite, elle voit des gens s’enfuir, commence à les suivre. Elle se retourne, voit des corps blessés, mutilés, elle hésite encore. Faire demi-tour pour tenter d’aider des gens ? Continuer à fuir et sauver sa peau ? Elle sent l’instinct de survie qui lui dit de prendre l’escalier roulant, de sortir. Elle se retourne encore, mais avance. Quelques minutes après, elle tente d’aider les pompiers, finit par plaisanter avec eux : l’horreur est telle que seul le rire permet de retrouver l’humanité.</p> <p>Quelques mois plus tard, Emmanuelle et Nathalie ont suivi des chemins différents. Chacune réagit à sa façon, en restant elle-même. Mais une seconde a fait une différence : l’instant où Emmanuelle se retourne et hésite, tandis que Nathalie enjambe la paroi éventrée du métro.</p> <p>Emmanuelle est encore envahie par des images de corps blessés, de chairs meurtries. Elle se débat avec un sentiment de culpabilité : aurait-elle pu faire quelque chose d’autre ? Avait-elle le droit de sauver sa vie ? Elle se raccroche à son histoire, se souvient qu’elle a toujours douté de sa légitimité et de sa valeur. Elle se résigne à ne pas changer le monde, elle accepte tant bien que mal que quoi qu’elle fasse, elle reste humaine, faillible, complexe. Le compromis avec la réalité est de se rendre utile, modestement : elle s’engage dans un volontariat, et sait que toutes les plaies ne peuvent être oubliées.</p> <p>Nathalie a toujours traversé la vie comme si elle n’avait aucun mérite à franchir les obstacles les plus difficiles. Elle entend les récits des attentats, mais elle a le sentiment d’être autre, étrangère à cela. Elle n’a pas vécu grand-chose : juste un éclair, un choc, la chaleur, une paroi déchiquetée à franchir. Elle a naturellement pris l’escalier, a rejoint le monde extérieur. Elle n’a rien vu. Elle n’a pas d’image, et même pas de représentation. Elle se doute que son être, ses sens ont été sidérés quelques minutes, qu’elle a été mue par un instinct de vie très fort, qui s’est quasiment substitué à la pensée, à l’imagination, à l’émotion. Mais comment se souvenir d’un moment où on pose des actes ordinaires, sans rien voir ? Elle sait qu’elle a été à deux doigts de la mort, elle sait que rien ne sera comme avant, que la bombe lui a enlevé une part d’insouciance et beaucoup de légèreté. Il y a un avant et un après, et entre les deux, une béance, un gouffre. Il s’agit de reprendre possession de l’ordinaire : tous ces petits instants précieux parce qu’ils sont uniques. Accepter le trou, l’indicible, et savoir que la fragilité de la vie en fait le prix.</p> <p>Deux êtres différents, singuliers forcément. Une seconde qui peut tout changer. Une seconde qui détermine la suite du chemin. Une seconde qui prend du temps. Le temps de trouver une place, quelque part en soi, pour cette seconde, et retisser les fils de la vie. Des semaines et des mois pour démonter les conséquences de cette seconde, pour que le psychisme rétablisse la continuité du temps, de l’histoire.</p> <p>À l’hôpital, nous sommes sans cesse confrontés à des discontinuités plus ou moins marquées du temps. Parfois, il y a l’annonce d’une maladie qui semble tout faire basculer. Ou un accident, dont les conséquences imposent de changer de mode de vie. Ou simplement une hospitalisation de plus, parce qu’un nouvel accès de bronchite fait que l’on revient pour la cinquième fois dans cette’ unité que l’on commence à connaître. Et les durées d’hospitalisation sont de plus en plus courtes, si bien que l’on rentrera chez soir encore malade, encore fragile. Ce sera plus difficile encore : nous retrouvons les lieux et les personnes proches, mais nous ne sommes pas tout à fait le même. Certains actes usuels sont devenus compliqués, et ce qui était familier doit être réinventé. Comment retisser le lien avec la période d’avant ?</p> <p>Ce n’est pas facile pour les médecins de mesurer l’impact de ces distorsions de temps. Ou simplement d’avoir conscience de l’importance de la chronologie. Comment se représenter la vie de quelqu’un qui a un âge différent ? Pour les plus jeunes, ce n’est pas encore trop compliqué, si le médecin veut bien se souvenir comment il était adolescent, ou jeune adulte, ou dix ans avant. Mais les plus vieux ? Peut-on savoir ce que c’est avoir vingt ans ou trente ans de plus ? Et pour les psychiatres ou les psychologues, ce n’est pas plus aisé. Le premier mouvement est évidemment d’avoir pour référence l’époque actuelle. Mais il faut aussi se souvenir de comment était la vie avant. Comment c’était d’être parent avant mai 68 et Françoise Dolto, à cette époque où l’allaitement était une pratique primitive et où il s’agissait juste de bien éduquer des enfants qui n’avaient rien à dire d’intéressant ? Vous savez, cette époque lointaine, où l’on croyait qu’en l’an 2000, on se rendrait à son travail en hélicoptère, et que la médecine aurait vaincu toutes les maladies.</p> <p>Le fait que je parle de ces exemples indique déjà mon âge. J’ai grandi à une époque où le progrès allait tout résoudre et garantir un avenir meilleur, où les légumes bio n’existaient plus quasiment, une époque où les enfants jouaient dans les rues et où les voitures n’avaient pas de ceintures de sécurité. </p> <p>C’est tellement loin ! Parce qu’en plus de ne pas nous demander notre avis, le temps n’a pas la même vitesse à tous les âges de la vie. Quand j’avais quatre ans, une heure était presque une éternité. À l’université, un an, c’était un horizon lointain : il y avait tellement d’expériences à vivre, et tellement d’examens à passer. Maintenant une année passe tellement vite, que je dois m’accrocher au potager et au jardin pour garder conscience de la durée, du rythme des saisons.</p> <p>Daniel Desmedt,<br /> avec la collaboration d’Isabelle Favry, psychologue<br /> 25 juin 2018</p> </div></div></div> Sun, 26 Aug 2018 16:53:29 +0000 amh 764 at https://psy-bruxelles.be